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déposé leurs plus précieuses ressources. Ainsi régnait-il sur les ruines, leur demandant les secrets qu’elles recelaient. Il s’en allait encore vers d’autres épaves, vers les épiceries, vers les merceries à demi abandonnées ; il procédait à la liquidation amiable des marchandises délaissées. Il était le commissionnaire, l’homme à tout faire et tout à tous.

Soldats de l’Argonne, Meusiens restés au pays, Meusiens réfugiés dans tous les coins de la France, aimaient en Mgr Ginisty, évêque de l’immortel Verdun, le plus vigilant des bienfaiteurs. Tantôt il était au front, encourageant les soldats ; tantôt, dans quelque village de l’arrière, il s’intéressait aux efforts tentés par des femmes, par des vieillards, par de petits enfans, pour faire refleurir sur beaucoup de ruines un peu de vie ; il s’attendrissait sur « le bœuf et l’âne, couple mal assorti, mais combien touchant, qui, d’un commun effort, creusaient le vieux sillon ; » il invoquait la protection de Dieu et la gratitude de la France pour ces laborieuses familles lorraines, « jetant les semences, quand même, dans un sol hâtivement préparé et parfois tout humide encore du sang des combats. » Partout à travers la France sa sollicitude faisait visiter les réfugiés de la Meuse, faisait quêter pour eux, apaisait leur nostalgie, consolidait leurs courages. Et l’un de ses prêtres, le curé d’Etain, dirigeant lui-même l’exode de ses 600 paroissiens, avisait, d’étape en étape, à leur ravitaillement, à leur hospitalisation en Beauce, à leur hospitalisation dans la Gironde.

Car la France avait dû refluer sur elle-même, et la frontière française, après une tragique oscillation entre la Marne et l’Aisne, entre le Parisis et la Picardie, était fixée, pour de longs mois qu’actuellement nos armes abrègent, en deçà des Ardennes, en deçà du Vermandois, en deçà de la Flandre et du Cambrésis. Mais dans ces douloureuses terres de l’au-delà, que cachait la muraille allemande, d’autres prêtres, d’autres évêques souffraient. On sait d’eux peu de chose jusqu’ici. Les ténèbres qui nous enveloppent encore leur deuil ne sont cependant point assez opaques pour nous laisser ignorer qu’à Lille Mgr Charost se conduit au jour le jour en défenseur de la cité. On affirme qu’il sut, dès le début, se faire écouter de la Kommandatur allemande, et que sa dépendance d’otage, volontairement acceptée, donnait à son indépendance d’évêque un surcroît d’éclat. On ajoute que le fonctionnement de la vie municipale