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partout il était présent. « Je n’aurais pas voulu que la préfecture fût atteinte seule, j’aurais été jaloux, » disait-il au Président de la République, en lui montrant les brèches faites dans sa demeure épiscopale par l’artillerie de l’ennemi. A certains jours, Mgr Lobbedey s’en allait visiter quelque paroisse de l’extrême front ; et, s’enfonçant dans la cave qui désormais servait d’église, il devenait, pour un matin, l’aumônier militaire d’un coin de secteur ; ou bien il survenait à très peu de distance des lignes allemandes pour bénir trente-sept dépouilles de soldats et cinq dépouilles d’officiers, et sa voix sacerdotale, bravant le fracas de l’artillerie, semblait vouloir réveiller ces victimes pour les inviter à « monter avec le Maître, en cette veille d’Ascension, vers la gloire et la récompense. » A proximité des obus, encore, il organisait une retraite, à Dainville, pour un certain nombre de prêtres infirmiers. Une fois qu’il se trouvait chez les Trappistines de Belval, il rompit leur sévère clôture pour associer aux offices des moniales un groupe de combattans qui revenaient de la tranchée ; et dans ce cadre imprévu, où son autorité d’évêque était seule qualifiée pour les introduire, il trouvait d’émouvans accens pour donner rendez-vous à tous les Français après la victoire, « sur la colline de Lorette reconquise, autour de la petite chapelle ressuscitée, devant l’héroïque forêt des humbles croix de bois, poussées dans le sang des martyrs. » Sur les lèvres de ce prélat, l’éloquence sacrée s’élevait à la hauteur des inexprimables circonstances qui l’inspiraient ; elle commentait les ruines et planait au-dessus d’elles, elle développait les raisons d’espérer et les raisons de pleurer, les raisons d’avoir souffert et les raisons d’accepter, elle commandait l’expiation, elle commandait la vaillance.

A l’exemple de leur évêque, les prêtres d’Arras prodiguaient leur zèle. Ils se faisaient pompiers, ravilailleurs, fossoyeurs, déménageurs. Il en est un, M. de Bonnières, qui chaque matin, même quand pleuvaient les obus, s’en allait avec une baladeuse dans les faubourgs de la ville : il demandait aux soldats les restes de leur ordinaire, et s’en revenait dans Arras, pour en nourrir les indigens. De nouveau, l’après-midi, la baladeuse était mobilisée : toujours conduite par le curé, elle transportait à travers les faubourgs les mobiliers d’ouvriers. Parfois le curé s’arrêtait pour retrouver parmi les décombres, d’après quelques indications, les cachettes où les habitans dispersés avaient