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ses soins, fut comme le noyau de l’administration nouvelle. L’hôtel de ville était vide : l’abbé Nottin y entra. Cent vingt électeurs restés à Vitry furent convoqués : douze d’entre eux devinrent membres d’une commission municipale, dont le président de l’Association paroissiale catholique dirigeait les délibérations. Les uhlans arrivèrent, cherchèrent des notables : l’archiprêtre et son vicaire étaient là ; on en fit des otages. « Il nous faut aussi des civils, lui signifia-t-on, désignez-les. » Les désigner, c’était peut-être les vouer à la mort : l’archiprêtre refusa. Il pria qu’on le laissât aller chercher deux amis, il revint avec deux membres de l’Association paroissiale catholique. Son vicaire avait dû marcher à travers les rues à la tête des colonnes allemandes ; on lui rendit sa liberté pour qu’il reprit sa place d’otage. Les Allemands avaient désormais quatre têtes sur lesquelles ils pourraient se venger de ce qui leur déplairait dans Vitry.

Et, dans son rôle d’otage, l’abbé Nottin put obtenir que tout pillage, que toute contribution de guerre fussent épargnés à la ville. Il avait cinq cents bouches à nourrir, — bouches de civils, bouches de Français, dont l’armée allemande ne s’occupait point. Ayant su obtenir des Allemands un certain nombre de quintaux de farine, il organisa une boulangerie, créa pour les pauvres un système de bons. « Vous les faites vivre, intervinrent les Allemands ; à vous aussi, de les faire travailler. » Il y avait des rues à désinfecter, des tombes à creuser : l’abbé Nottin et son vicaire réquisitionnèrent les hommes valides, les affectèrent, les payèrent. A force d’enrégimenter la main-d’œuvre, les injonctions de l’archiprêtre s’étendaient aux Allemands eux-mêmes. Une nuit qu’avec ses ouailles il luttait contre un incendie terrible, des pompiers de Munich se trouvaient là, qui regardaient ; il les mobilisa, d’autorité ; ce curé d’une ville occupée commandait à ses vainqueurs. Une quasi investiture officielle ratifia son initiative : en remplacement du maire révoqué, en remplacement du Conseil municipal dissous, une « délégation spéciale » de trois membres fut créée ; elle comprenait l’abbé Nottin, un instituteur, et le président de l’Association catholique paroissiale ; et ce dernier fut nommé président de la délégation. C’est ainsi que Vitry-Ie-François, durant l’effacement du pouvoir civil, put connaître encore les bienfaits d’un gouvernement.