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restituait copieusement le chloroforme aspiré, nos majors m’adressaient les félicitations d’usage et je continuais à rouler mon pansement. » La croix fut remise, en grande pompe, précédant de quelques mois le ruban rouge, et sœur Gabrielle, s’adressant derechef à la Mère générale, lui disait : « Voilà, ma Très Honorée Mère, votre pauvre fille avec la Croix sur les épaules et sur la poitrine, au côté et dans la poche ! La croix partout ! Il y en a de plus lourdes que d’autres, et avec la grâce de Dieu, le concours de mes excellentes compagnes et vos bonnes prières, j’essaie de les porter le moins mal possible. Si notre Père Duthoit eût été lit, il n’eût pas manqué de me dire : C’est de la terre, tout cela, mais pour la communauté je suis bien content. » Monsieur Vincent eût aimé ces lignes, et cette façon d’accepter avec le même état d’esprit les fatigues et les honneurs, les périls et les pompes, et de trouver parfois les honneurs plus onéreux que les fatigues, et de penser peut-être à part soi, dans le secret de la méditation, que l’attrait des pompes pourrait devenir un plus grand péril que ne l’était la menace des obus.


IV

Citations, croix de guerre, médailles militaires, décorations de la Légion d’honneur, ratifiaient au jour le jour l’héroïsme des prêtres et parfois des religieuses. A l’heure actuelle, le diocèse de Paris compte cinquante-neuf prêtres ou séminaristes titulaires de la croix de guerre, et cinq prêtres décorés, au titre militaire, de la Légion d’honneur. Ceux-là mêmes qui, en tant qu’aumôniers, n’avaient qu’une besogne toute spirituelle, participaient à ces distinctions. L’autorité militaire témoignait ainsi qu’elle considère comme d’efficaces collaborateurs les ministres du culte, qui, sur le front des armées, en pacifiant les consciences, leur enseignent à regarder la mort.

Il y eut d’autres prêtres — ils furent nombreux — que l’hostilité de l’ennemi, et les traitemens qui s’ensuivirent, couvrirent d’une autre gloire, étrangement douloureuse. Les Allemands en veulent aux prêtres, disait un instituteur belge au curé d’Esternay ; et lorsqu’il fut à quatre reprises collé au mur pour être fusillé, lorsqu’il fut mis en tête d’une colonne de marche, face à face avec les balles françaises, lorsque le pain, lorsque l’eau lui furent refusés, le curé d’Esternay vérifia