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premier geste, son premier mot, sa première pensée. Mais on parle sans délai de « ses forces » et il faut l’entendre au sens militaire. « Dans son armée particulière revivront les célèbres faits d’armes des armées polonaises des temps passés, ainsi que le souvenir des braves combattans polonais de la grande guerre actuelle. » Une armée particulière ; mais l’armée bavaroise, l’armée saxonne, l’armée wurtembergeoise, sont des armées particulières, aussi, dans l’armée allemande; ce qui ne les empêche pas d’être des appendices de l’armée prussienne ; ses antennes, devrait-on dire, car c’est elles de préférence qu’elle pousse en avant. L’armée de la Pologne autonome sera comme les armées bavaroise, saxonne ou wurtembergeoise ; comme elles, elle aura l’organisation prussienne, la discipline prussienne, l’armement prussien, le commandement prussien, le serment prussien, le « Suprême Seigneur de guerre » prussien. « L’organisation, l’instruction et la direction de cette armée seront réglées d’un commun accord entre les monarques alliés. » Après quoi elle pourra se vanter d’être l’armée particulière du « royaume de Pologne. » Il serait naïf, et pour le monde entier, y compris ses populations les plus arriérées, il est inutile d’insister. Le royaume et la Pologne elle-même sont pour demain ou après-demain ; ce qui seul est pour tout de suite, c’est l’armée polonaise. Si la Pologne veut vivre, que les Polonais commencent par se faire tuer.

Mais quelle preuve ajoutée aux autres, de « l’usure des effectifs » dans les Empires du Centre! On entend là-dessous la voix grondeuse de Hindenburg : « Sire, il me faut d’urgence cinq cent mille hommes. Les hommes se prennent, comme l’argent, où il y en a. » Vainement on s’est moqué du droit international, et l’on a renversé du poing ou de l’épaule le fragile édifice, le palais de carton, qu’une humanité chimérique avait cru se construire à La Haye; pourtant, tout n’y était pas chimère ; ce droit encore à l’état d’ébauche édictait des règles positives, que soi-même on avait consenties, et qui apparaissent moins sûrement dépourvues de sanction, à l’heure où la puissance décline, et où la victoire s’enfuit. Il interdit des enrôlemens forcés qui équivaudraient à des enlèvemens d’esclaves, et qui, déshonorant les armes en la personne de celui qui les porte, violant ce qu’il y a en lui de plus profond, de plus intime et de plus sacré, feraient du soldat à la fois un bétail, une machine, un renégat et un traître. Néanmoins, l’Allemagne, à tout prix, doit trouver des hommes : Hindenburg, pour sauver ce qu’il peut encore sauver, est dans l’obligation de « nourrir son offensive. » On se tirera de la difficulté par une fiction,