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animée de cette rage aveugle. Pendant que nous continuons à nous étonner de cette guerre, à ne pas y croire tout à fait, et à nous en amuser, voilà quel est l’état d’esprit de chaque Allemand ! Et j’ajoute que cet état d’esprit est, quasiment, voulu. Les Allemands estiment qu’il leur donne plus de force. Connaissez-vous leur Hymne de Haine ?

Et l’ami traduisit à M. Britling le poème de Lissauer.

— Eh ! bien, demanda-t-il ensuite, qu’en pensez-vous ?

— J’éprouve un besoin irrésistible de casser la tête à ces gens-là !

— N’est-ce pas que c’est énorme ? Et qu’adviendra-t-il du monde, si ce sont ces gens-là qui l’emportent ?

— Tout cela est incroyable, même avec ces preuves devant moi !… Oh ! quel désir j’éprouve de leur casser la tête !


Chaque jour, désormais, le pauvre M. Britling verra ainsi s’écrouler l’une ou l’autre de ses illusions d’avant la guerre ; et l’on comprend sans peine ce qu’il lui en coûtera par exemple, tout de même qu’à son biographe M. Wells, d’avoir à s’avouer que ces Allemands qui dépassent en férocité sanguinaire les plus « încivilisables » des Barbares anciens se trouvent être, avec cela, une nation « scientifique » et, en même temps, « socialiste » au « suprême degré ! » Mais peut-être mon lecteur a-t-il eu déjà l’occasion de deviner tout ce qu’il y a de complexe et d’instable dans l’âme, d’ailleurs parfaitement ingénue, de l’éminent « utopiste » inventé, pour notre ravissement, par l’auteur de la Machine à mesurer le temps : de telle sorte que la « conversion » de M. Britling ne cesse pas de procéder par de soudaines oscillations d’un extrême à l’autre, et que, cette fois encore, notamment, sa découverte de la « différence » entre les conceptions guerrières de l’Angleterre et de l’Allemagne nous apparaît bientôt remplacée par de nouveaux efforts à regarder les « atrocités » allemandes comme des conséquences à peu près fatales d’un fond caché de sauvagerie inhérent à toutes les variétés de notre espèce humaine. Ou bien, le lendemain, c’est seulement chez ses compatriotes que M. Britling s’avise de soupçonner des « possibilités » d’instincts sauvages équivalens à ceux qui se sont ranimés et s’étalent librement chez les destructeurs de Louvain et de Reims. Car le fait est que, à travers tout le flux et reflux de ses sentimens, le héros de M. Wells affirme sans arrêt son admiration la plus respectueuse pour le rôle de la France dans la guerre présente. « Il n’y aura eu que bien peu de splendeur, dans cette guerre, — écrira-t-il par exemple, — pour l’Allemagne ou pour la Grande-Bretagne. Avec la Russie, nous aurons été les plus gros des combattans : mais toute la gloire de la guerre sera réservée pour l’invincible France. »