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être marié, et aimer beaucoup sa femme, et adorer ses enfans : il ne s’en croit pas moins tenu, au moment où va commencer la guerre, d’avoir, en vrai « artiste, » son petit « roman. » Il s’est créé un commerce familier de visites et de lettres avec une jeune veuve demeurante quelques « milles » de son village, à lui ; et depuis déjà plusieurs semaines son amie l’a profondément ému et troublé en lui parlant de l’ardeur passionnée avec laquelle un riche fonctionnaire, appelé Olivier, la presse de lui réserver l’entière possession de son cœur. Mais voici que, le matin du 1er août, M. Britling, qui s’était mis en route pour aller voir Mme Harrowdean, lit dans son journal l’imminence dorénavant inévitable d’un conflit européen où, probablement, l’Angleterre devra prendre part ! Il persiste, quelques instans encore, à diriger vivement son automobile vers le village qu’habite son amie, et puis, par degrés, il ralentit sa course, et soudain il s’arrête, comme saisi d’un scrupule.


— Olivier…, murmura-t-il, tout en s’efforçant d’imposer demi-tour à sa machine.

Après quoi il se tut, pour n’achever sa phrase qu’après avoir heureusement franchi un tournant un peu raide.

— Olivier n’a qu’à l’épouser !

Et puis encore, à une cinquantaine de mètres plus loin, et cette fois d’un ton presque scandalisé :

— Au fait, il y a longtemps qu’elle aurait dû se marier avec lui !


Désormais Mme Harrowdean cessera d’exister pour M. Britling ; et tout au plus l’ex-amoureux s’étonnera-t-il de constater le peu d’empressement de M. Olivier à profiter de la liberté qui vient ainsi d’être rendue à la jeune veuve. Quant à lui, M. Britling, « son cœur n’aura plus guère de place, tout ce jour-là, que pour un tendre et fervent amour de l’Angleterre. » Peu s’en faut même qu’il en vienne à désirer expressément la participation de son pays à cette guerre qui, jusqu’alors, lui a paru tout ensemble un crime monstrueux et le pire des maux. « Nous combattrons, et la victoire nous sera difficile. Mais comme ce sera bon pour nous, avec notre nature trop confiante en soi-même, que nous n’obtenions pas une victoire trop facile ! Et, en tout cas, cette victoire, il faut que nous l’ayons, — ou que nous périssions ! »

Le lendemain, les journaux annoncent la fermeture provisoire des banques, et l’épicier du village prévoit la possibilité d’une prochaine interruption dans l’arrivage des vivres. Mais M. Britling découvre avec surprise que ni la perspective du manque de bien-être, ni même