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avait encore daigné s’employer à nous offrir des romans, — en d’épais volumes trop manifestement improvisés, et presque toujours dépourvus d’émotion vivante aussi bien que d’action, — toujours il y avait eu pour unique objet d’opposer à la peinture des mœurs anglaises de son temps le développement dogmatique de quelqu’une des « utopies » sociales apprises par lui à l’école de Karl Marx. De manière qu’il nous avait fallu, comme je l’ai dit, renoncer à le suivre, et qu’il n’y avait pas jusqu’à ses compatriotes eux-mêmes qui, tout en respectant l’évidente ferveur de ses convictions, n’eussent commencé à lui préférer, pour leur agrément personnel, le socialisme plus folâtre de son confrère et rival M. Bernard Shaw, — autant du moins qu’on peut revêtir du nom de « socialisme » une doctrine ne consistant qu’à soutenir d’emblée, sur tous les sujets, le contre-pied absolu de toute notion admise unanimement, d’âge en âge, par la raison ou l’expérience humaines.

Voilà donc où en était M. Wells lorsque, sous le choc imprévu et violent de la guerre, une espèce de « conversion » s’est opérée en lui, dont aussitôt les effets se sont traduits à nous dans une nombreuse série d’articles et de livres. Dès l’abord, l’ex-apôtre socialiste du Monde affranchi nous a fait voir une attitude entièrement différente de celle que venait d’adopter le « compagnon » Bernard Shaw ; et de jour en jour, ensuite, tandis que son coreligionnaire de la veille continuait assez lourdement à railler l’élan patriotique de la nation anglaise, — raffermi sans doute encore dans son goût naturel de contradiction par le souvenir du succès enthousiaste de ses plaisanteries dramatiques sur les scènes allemandes, et de leur échec obstiné à Paris, — nous avons entendu s’élever la voix éloquente de M. Wells à la louange de l’admirable effort guerrier de son peuple, comme aussi à la louange de notre héroïque résistance française et de celle même de ces soldats de Broussiloff et d’Alexeïef en présence desquels l’auteur de l’Utopie moderne ne s’est pas fait scrupule de reconnaître, généreusement, combien il se repentait de s’être jadis laissé aveugler (par une propagande d’origine « tudesque ») au point de tenir leur race tout entière pour une immense horde d’Asiatiques barbares, foncièrement incapables de la moindre « culture. » Nulle trace dorénavant, dans ces pages enflammées de patriotisme, des faciles paradoxes pacifistes, internationalistes, ou républicains, dont la répétition trop constante avait fini par nous agacer sous la plume d’un écrivain accoutumé, naguère, à concevoir les choses d’une façon à la fois plus aimable et plus originale. Nous sentions avec plaisir que,