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jeune Maravon ! Sabine a fait un sacrifice inutile, plus qu’inutile : comptez sur sa charmante fille pour le lui reprocher quelque jour ! Et il en sera ainsi tout du long de la pièce : suivant une sorte de rythme, chaque acte de dévouement auquel s’ingénie l’inventive Sabine déclenche, de la part de ses enfans, un acte d’indifférence, une marque d’égoïsme. C’est réglé. De déceptions en humiliations, c’est le supplice d’une mère. De scène en scène, on se demande : « Qu’est-ce qui va encore arriver à cette malheureuse ? » Il lui arrivera chaque fois ce qui pouvait arriver de plus atroce. Elle est en bonnes mains : les tenailles d’Hervieu ne lâchent pas leur proie.

C’est à propos du jeune ménage que le conflit éclate entre Sabine et sa mère. Si le rôle de Stangy est toute convention, inversement celui de Mme Fontenais est la vérité toute pure et la vie elle-même. Ce personnage de vieille bourgeoise est l’un des mieux observés qu’il y ait au théâtre. Qui que vous soyez, il est impossible que vous n’ayez pas rencontré sur votre chemin quelque Mme Fontenais. Elle et son mari, lui par son travail, elle par son économie, ont amassé une petite fortune. Cette fortune est en bonnes valeurs enfermées dans le secrétaire de la chambre à coucher. Ces titres représentent la dignité de l’intérieur, le genre de vie et le train de maison indispensables à des gens qui occupent un certain rang. Ils constituent l’avoir de la famille, le bien commun dont celle même qui a si patiemment contribué à le créer ne se considère que comme une sorte de dépositaire. Plutôt que de les aliéner, elle mourrait de faim à côté d’eux. Elle en a vu une partie déjà disparaître dans les mauvaises spéculations d’un gendre. Elle sait ce que sont ces gouffres creusés par l’imprudence et l’incapacité : des fortunes s’y engloutiraient, et elle n’a qu’un peu d’aisance. Le lamentable Didier Maravon peut menacer de se tuer : elle connaît ces menaces non suivies d’effet qui ne sont qu’un macabre chantage. Les déclamations ne la touchent pas, ni les jérémiades et les crises de nerfs de sa petite-fille, ni même la douleur si profonde, si humaine, si émouvante de (Sabine. Elle a passé l’âge où l’on s’émeut. Elle s’est desséchée au moral comme au physique… Il fallait voir, jadis, au Vaudeville, dans sa robe puce, Mme Daynes-Grassot, ridée, ratatinée, fermée et têtue. Il suffisait de la voir, et le rôle se passait d’autre commentaire.

Cet argent, dont elle a besoin pour ses enfans, et qu’elle n’a pu obtenir par prière, Sabine va le voler. C’est ici ce tragique récit du troisième acte, d’une horreur presque shakspearienne. Sabine s’est introduite la nuit dans la chambre de sa mère, elle ouvre le secrétaire,