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étrangère, quelque sympathique qu’elle soit à nos cœurs. Nous aimons l’Italie, nous aimons la Pologne, nous aimons tous les peuples opprimés, mais nous aimons avant tout la France, et nous avons la responsabilité de ses destinées et peut-être de celles de l’Europe en ce moment… Ne tentez pas de nous faire dévier même par le sentiment fraternel que nous vous portons. Il y a quelque chose qui contient et qui éclaire notre passion, même pour la Pologne, c’est notre raison[1]. » En opposant la raison au sentiment, Lamartine commençait à débrouiller la confusion que des paroles vagues, indéfiniment répétées, — même par lui, — avaient créée dans les esprits.

Dans le manifeste aux Puissances (4 mars), dans la réponse au discours de MM. Mauguin et Napoléon Bonaparte (juillet 1848), le ministre des Affaires étrangères du Gouvernement provisoire précisait, en ces termes, la politique extérieure de ce gouvernement : « Les traités de 1815 n’existent plus en droit aux yeux de la République française ; toutefois, les circonscriptions territoriales de ces traités sont un fait qu’elle admet comme base et comme point de départ dans ses rapports avec les autres nations… » Il ajoutait seulement, » qu’après que des nationalités ou des démocraties se seraient produites, reconquises ou organisées autour d’elle, à la portée de sa main et de son geste (il s’agissait visiblement de l’Italie), si ces démocraties ou ces nationalités faisaient appel à son appui, en vertu de la conformité des principes, la France se croirait en droit de leur porter cet appui[2]. Il ne cachait pas sa méfiance à l’égard de la Prusse et, de ce côté, mettait les doctrinaires du principe des nationalités en garde contre toute illusion. Edgar Quinet, comme l’a ici même[3]très bien établi M. Paul Gautier, partageait ces méfiances.

Les sages dispositions que l’appréciation des réalités inspirait au poète, homme d’Etat, étaient, rappelons-le, en parfait accord avec les vues des chefs de la Révolution. La juste mesure ne peut être indiquée avec plus de précision et plus d’autorité que dans cette parole de Washington qui est le correctif

  1. Trois mois au pouvoir, 19 mars. Réponse à une députation des Polonais demandant l’appui du Gouvernement pour le rétablissement de la nationalité polonaise, p. 130.
  2. Loc. cit., p. 306-309.
  3. Vues prophétiques d’Edgar Quinet sur l’Allemagne, dans la Revue du 15 septembre.