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présente une trop grande part du fardeau, pour décharger l’avenir qui profitera plus que nous de la victoire ; je crois bien même avoir vu rééditer à ce propos le mot célèbre sur la postérité, « je voudrais bien savoir ce qu’elle a fait pour nous, la Postérité ! » — N’empêche que dans l’ensemble le sentiment public s’est manifesté très net : les dépenses de guerre s’élevant de façon inouïe, il faut exiger davantage du contribuable, il faut hausser encore la taxation. Il le faut surtout à l’heure actuelle, pour que le pays ne s’endorme pas dans le business as usual et dans une prospérité égoïste, pour qu’il sente la guerre et comprenne la nécessité de sacrifices qui, si durs soient-ils, n’auront encore rien qui approche des horreurs de la Belgique et du Nord de la France. Il le faut pour forcer la nation à épargner davantage, à se priver pour ménager les ressources du pays en vue de la guerre et de l’après-guerre. Il le faut pour nous rendre dignes de nos grands ancêtres du temps de la lutte contre Napoléon, pour montrer au monde notre force financière et intimider nos ennemis par le témoignage de notre détermination.


IV

On pense bien que le nouveau chancelier de l’Echiquier n’allait pas manquer de tirer parti de si belles dispositions ; je n’oserais même dire que son zèle ne l’emportera pas au-delà du but ! Libéral de marque, naguère pacifiste, il avait débuté au Parlement en 1896 en faisant avec M. Lloyd George une vive obstruction à je ne sais quelle mesure unioniste. Ce n’était pas un nouveau venu aux Finances, où il avait été secrétaire parlementaire sous M. Asquith. Sa nomination, pourtant, ne fut pas accueillie sans quelque surprise : cet ex-champion de rame de l’Université de Cambridge, cet ancien vainqueur des régates de Henley, saurait-il manœuvrer la barque de la Trésorerie avec autant de mesure et de prudence que d’énergie ? Il débuta par un vrai succès : le grand emprunt 4 1/2 pour 100 de 600 millions sterling (15 milliards de francs), émis au pair en juin-juillet, qui réunit plus d’un million de souscripteurs, et que suivit à l’automne le petit emprunt franco-anglais de 100 millions sterling contracté à New-York pour rétablir le change. Succès aussi, la loi de finances qu’il présenta à la