Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’asservissement de l’Italie du Nord par l’Autriche), ont fait vibrer les sentimens des peuples et ont étendu le sens de la fameuse phrase empruntée à l’Exposé de Condorcet du 20 avril 1792 et qu’on donne généralement comme le point initial de la doctrine des nationalités : « La Révolution française professe que chaque nation a le pouvoir de se donner des lois. »

La Révolution française n’a jamais confondu les populations avec les peuples ; elle n’a jamais songé à abolir la notion de l’Etat organisé. Son principe n’est nullement anarchique, tout au contraire. La conception, d’ailleurs extrêmement confuse, qu’elle put avoir du « principe des nationalités, » allait peut-être jusqu’à l’idée de libération des peuples asservis ; mais elle savait que la liberté ne se suffit pas à elle-même et qu’il lui faut l’organisation et la force. Est digne d’être libre un peuple qui affirme et défend lui-même sa liberté.

On a dit avec raison que la doctrine des nationalités s’est emparée de l’opinion, surtout quand furent divulgués les entretiens de Sainte-Hélène. On répétait la phrase du Mémorial : « Une de mes plus grandes pensées avait été l’agglomération, la concentration des mêmes peuples géographiques qu’ont dissous, morcelés les révolutions et la politique. J’eusse voulu faire de chacun de ces peuples un seul et même corps de nation… Le pouvoir souverain qui, au milieu de la grande mêlée, embrassera de bonne foi la cause des peuples, se trouvera à la tête de toute l’Europe et pourra tenter tout ce qu’il voudra… » Et encore : « C’est avec un tel cortège qu’il serait beau de s’avancer dans la postérité, d’aller au-devant de la bénédiction des siècles. Après cette simplification sommaire, il ne serait plus chimérique d’espérer l’unité des codes, celle des principes, des opinions, des vues, des intérêts. Alors, peut-être, à la faveur des lumières universellement répandues, deviendrait-il permis de rêver, pour la grande famille européenne, l’application du congrès américain ou celle des amphictyons de la Grèce ; et quelles perspectives alors de force, de grandeur, de jouissance, de prospérité, quel magnifique spectacle ! » Tels étaient les rêves du conquérant assagi. C’est sur ce thème que cinquante années d’une agitation, à la fois libérale et bonapartiste, s’exercèrent. Des loges de francs-maçons aux ventes de carbonari, cette propagande fit son chemin sous terre. Grèce, Pologne, Italie, Allemagne, les malheurs et les revendications des peuples