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les dix petits projectiles seront plus efficaces que le gros : cela provient de ce que, même tirés par une seule pièce sur une hausse unique, ils subissent, n’étant jamais parfaitement identiques, une certaine dispersion qui leur fait battre une zone bien plus étendue que le gros obus, malgré le rayon d’action assez grand de celui-ci. A fortiori, cela est, si les dix projectiles sont tirés sur des hausses différentes. C’est pour le même motif qu’une mitrailleuse est plus efficace qu’un canon sur une troupe à découvert.

Mais quand donc dans cette guerre a-t-on l’occasion de tirer sur une troupe non abritée ? C’est quand cette troupe attaque, puisque pour avancer elle doit sortir de ses abris. Pour un même poids de projectiles, le canon de campagne, le léger 75, est donc supérieur au canon lourd comme arme défensive.

Mais il n’en est plus de même lorsque l’ennemi est abrité dans des tranchées couvertes ou dans des réduits protégés sous une épaisse couche de terre à plusieurs mètres de profondeur, comme c’est le cas actuellement : un gros obus pourra démolir ces abris et leurs défenseurs, alors que plusieurs petits obus du même poids total les trouveront invulnérables. Cela provient de deux causes : 1° un poids d’un kilo nous tombant sur la tête d’un premier étage, nous brisera immanquablement le crâne ; ce que ne feront pas mille poids d’un gramme tombant successivement de la même hauteur sur le même point ; 2° le gros projectile tombe en un seul point où agit toute sa puissance ; celle des petits projectiles est diffusée par la dispersion du tir, quelque précis qu’il soit. Autrement dit, le gros projectile agit comme un clou qu’on enfonce par sa pointe dans une table, les petits comme si on voulait enfoncer ce clou en posant sa tête plate sur la table. Il est évident que, dans ce cas, il pénétrera beaucoup moins, même si les deux coups de marteau sont de même force.

En résumé, et pour tout dire d’une formule synthétique, l’efficacité supérieure contre les obstacles matériels d’un obus lourd sur un poids total équivalent d’obus plus petits provient de ce que la puissance du premier est concentrée en un point unique du temps et de l’espace.

Parmi les choses paradoxales et imprévues mises en évidence par cette guerre, il n’en est guère de plus contraires aux théories d’école, de plus hétérodoxes que celles que nous venons