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précurseur et annonciateur, Treitschke : « . Après avoir porté la ruine parmi nombre d’autres peuples, la ruine, à son tour, vient l’atteindre. Une Puissance qui foule aux pieds tous les droits doit, de toute nécessité, échouer lamentablement ; » et cette autre parole de son autre apologiste Sybel : « Dans les grands courans de l’histoire, rien ne s’engloutit sans espoir qui n’ait commencé à se détruire soi-même. »

Je connais les difficultés de cette solution forte : elle étonne de prime abord ; mais, à les prendre de front, les obstacles s’aplanissent. La victoire s’en chargera. J’ajoute qu’une fois le parti pris et la résolution divulguée, la cause rallie les adhésions latentes, et la victoire elle-même s’en trouvera grandement facilitée. Quand les peuples savent où ils vont, leurs vœux abrègent le chemin. Le plébiscite de 1870 consolidait l’Empire de Napoléon plus que les dernières élections au Reichstag ne soutiennent le régime impérial actuel. Guillaume est, depuis longtemps, un ballon crevé. Bülow, en dénonçant ses entourages suspects, l’incohérence de son langage et de sa conduite politique, a porté à son maître un coup plus rude que Rochefort ne l’avait fait à Napoléon III en allumant sa Lanterne.

Et puis, l’erreur de la guerre est impardonnable. L’esprit calculateur et appliqué des Allemands fera le compte des profits et des pertes. Les affaires ont été mal gérées. Toutes les imprudences ont été commises à la fois. Pas un enfant en Allemagne qui se fasse la moindre illusion sur l’autorité, la clairvoyance et le tact des diplomates allemands, sur la haute direction de la politique et même des choses militaires.

Si la dynastie des Hohenzollern est rendue aux destinées normales de la royauté prussienne, elle reprendra un rôle à sa taille. Parce qu’ils ont eu Bismarck et le premier Moltke, ils s’en sont fait accroire : ils se sont pris pour des génies et pour des chefs de guerre. Ils se sont gonflés, et n’ont pas compris que leur seul grand homme, Frédéric, avait ce qui leur manque, le sens de la mesure. L’Europe les ramènera à la portion congrue.

Les conseillers et les chefs seront punis. Mais ils ne sont pas seuls responsables. Le militarisme prussien n’est, ainsi que nous l’avons dit dans les Problèmes de la guerre, que la forme agressive du pangermanisme. Le mal enlevé, il faut guérir le corps lui-même.