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surtout les plus gros, — où le projectile s’enfonce tout entier dans l’âme.

Le poids relativement minime des canons de tranchée leur donne sur les gros cet avantage qu’ils peuvent être bien plus facilement déplacés et abrités, c’est-à-dire qu’ils échappent mieux au repérage. Enfin cette artillerie nouvelle a cette qualité précieuse que ses projectiles peuvent être chargés avec des explosifs très sensibles, — nous allons voir pourquoi, — ce qui multiplie notre productivité en explosifs et permet de réserver exclusivement aux obus la fabrication des explosifs stables, ce qui est d’un grand prix, étant donné la rareté des matières premières nécessaires.

Cette différence est due à la force d’inertie qui bride et freine les mouvemens de la matière et aussi, hélas ! ceux de l’humaine espèce et qui est, en vérité, la plus grande force du monde. Pourtant le bon Jules Verne l’avait oublié lorsque, voulant envoyer ses héros dans la lune, il ne trouva rien de mieux que de les confier à l’obus du « Columbia » : il n’avait, hélas ! négligé qu’une chose, c’est que le départ du coup eût aplati comme galettes les voyageurs au fond du projectile interastral, en vertu de la même force d’inertie qui, lorsqu’un wagon démarre brusquement, vous projette soudain en arrière.

Cette force, l’explosif enfermé dans le ventre des obus la subit lui aussi. Quand on tire un obus de 75, l’explosif inclus est pressé par l’inertie sur le fond de l’obus avec une force de 600 kilos par centimètre carré qui tend à l’écraser. C’est pour cela que, pendant si longtemps, on n’avait rien trouvé de mieux que la vieille poudre noire, peu brisante, mais stable, pour charger les obus. Les explosifs plus puissans, la dynamite, le coton-poudre, subissaient, à cause de l’inertie, un choc au départ du coup qui produisait des éclatemens prématurés. On croyait alors que les explosifs étaient d’autant plus puissans qu’ils étaient plus sensibles. La découverte de Turpin a été précisément de montrer qu’il n’en est rien et de trouver dans l’acide picrique fondu un explosif à la fois très puissant et peu sensible. Il est même si peu sensible qu’on peut écraser sans danger un bloc de mélinite sous un marteau pilon et qu’il a fallu pour faire éclater les obus a mélinite imaginer des amorçages, des détonateurs spéciaux, qui, au point de chute, réveillent de son profond sommeil leur terrible puissance. Aujourd’hui tous les