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C’est ainsi que la bombe à ailettes que lance notre petit canon de tranchée de 58 millimètres contient 4 kilos d’explosif, c’est-à-dire à peu près autant que l’obus en fonte aciérée de notre bon vieux canon de 155. Or le canon de 58 pèse à peine 180 kilos » tandis que le 155 pèse sur son affût 5 700 kilos ! Il est vrai que le premier ne porte son projectile qu’à environ 400 mètres, tandis que le 155 envoie aisément le sien à 11 kilomètres. On ne peut pas tout réunir, et il n’est pas, même à la guerre, de panacée universelle.

Si d’ailleurs les canons de tranchée peuvent envoyer des charges d’explosif aussi fortes que les canons lourds et longs, ce n’est pas seulement à cause de leur portée plus faible. C’est pour une autre raison encore : non seulement la faible vitesse initiale de leur projectile permet d’alléger les parois du canon, mais elle permet d’amincir aussi celles du projectile. Pour résister à la violente percussion des canons longs et à sa rotation rapide dans l’air qui produit une force centrifuge violente tendant à le rompre, l’obus ordinaire doit avoir des parois épaisses et résistantes. Cette nécessité n’existe pas avec les projectiles de tranchée ; ainsi le projectile du 58 qui contient 4 kilos d’explosif ne pèse que 10 kilos, tandis que l’obus de 155, qui contient à peu près la même charge, pèse, à cause de ses parois bien plus épaisses, près de 44 kilos, près de trois fois plus !

On peut se demander enfin comment un canon de petit calibre comme le 58 millimètres (où l’on ne pourrait pas introduire la main) peut lancer des projectiles aussi gros que celui dont nous venons de parler, — et il en lance de bien plus gros encore. La raison en est simple : avec ces petits canons on lance des torpilles dont le diamètre dépasse beaucoup celui de la pièce parce qu’ils n’entrent pas dans l’âme de celle-ci et n’y pénètrent que par un mince appendice fixé à leur partie arrière. Si on veut me permettre cette comparaison, les petits canons de tranchée propulsent les grosses torpilles à ailettes par le même dispositif qui est réalisé dans le fusil « Eurêka, » bien connu des enfans, et où l’on voit une tige de bois enfoncée dans le fusil servir de queue à la balle en caoutchouc beaucoup plus grosse, qui émerge de l’arme. C’est un des motifs pour lesquels les canons de tranchée sont chargés par la bouche, et non par la culasse, comme leurs grands frères. Tous les mortiers de tranchée ne sont d’ailleurs pas identiques à cet égard, et il en est, —