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parti ne manque pas de déclencher devant elle quand il a dû l’abandonner ? C’est qu’il est plus facile de traverser un tir de barrage que de rester immobile sous un tir contre tranchées de même intensité : on se mouille moins en traversant seulement la rue quand il pleut, qu’en y stationnant sous l’averse.

De cette brève esquisse, il résulte que la lutte depuis deux ans sur notre front est, si j’ose employer cette image, analogue à celle de deux béliers qui, les cornes contre les cornes, les deux fronts étroitement butés, poussent chacun de l’avant de toute leur énergie. L’interférence de leurs deux efforts n’aboutit d’abord qu’à une épuisante immobilité, jusqu’à ce qu’une dissymétrie dans le heurt de cette double énergie fasse reculer soudain un des combattans et casse d’un seul coup l’équilibre de ses jarrets. C’est ainsi que, sans doute, s’achèvera la lutte quand nous aurons assez de canons et de projectiles pour dominer nettement ceux de l’Allemand. Certes, il a des lignes de défenses successives sur lesquelles il arc-boutera au fur et à mesure son effort de résistance. Ces lignes, il faudra les conquérir « par approximations successives, » comme disent les mathématiciens, mais après, le moment viendra où la bête croulera soudain. D’ici là, il faut patienter et surtout travailler…, car l’Allemand travaille, lui. En somme, nous devons tendre vers le point idéal, — s’il peut être question d’idéal en des matières aussi temporelles ! — où notre infanterie n’aura plus de pertes que par l’artillerie. Ce jour-là, qui n’arrivera peut-être que dans la prochaine guerre, il me semble, — bien qu’il soit toujours hasardeux de vaticiner, — que la lutte se réduira à un combat entre deux artilleries, c’est-à-dire que la victoire sera à celle qui dominera en portée, calibre et repérage : en portée, car celui qui tirera 100 mètres plus loin que l’autre pourra l’atteindre sans être atteint lui-même ; en calibre, car les plus gros canons feront taire les plus petits ; en repérage, car avant tout il faut savoir où est l’artillerie sur laquelle on tire, et toutes les autres supériorités ne sont rien sans celle-ci et sont balancées par elle.


Maintenant que quelques vues synthétiques guident notre incertitude à travers les sinuosités de cette immense ruée de guerre, nous pouvons d’un regard plus clair examiner les rôles