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contre poitrine, ceux de l’ennemi. C’est ainsi qu’à vouloir faire une trop large part au rôle de l’infanterie, on aboutirait à la diminuer.

Il ne s’agit point d’ailleurs dans tout ceci d’instituer une de ces discussions d’école qui n’ont que faire à l’heure où tous les Français mêlent leur sang héroïquement répandu. Il ne s’agit point de contester que l’infanterie est et reste la reine des batailles ; mais le canon en est le roi.

Les Allemands le sentent si bien qu’ils espèrent par une surabondance d’artillerie, alimentée par leur formidable industrie, compenser leur infériorité numérique croissante. Il faut que cela ne soit pas, et cela ne sera pas.

Ceci même nous amène à envisager un autre aspect de la tactique actuelle : dans l’exposé schématique que nous avons esquissé ci-dessus du rôle de l’artillerie, nous n’avons considéré que ce qui se passe d’un côté de la barricade. Mais il est clair que l’adversaire tiendra à user des mêmes moyens, des mêmes tirs destructifs contre les tranchées, des mêmes tirs de barrage à l’arrière de celles-ci contre les réserves et les ravitaillemens. Et alors une nouvelle besogne s’impose, celle d’empêcher l’artillerie ennemie de faire tout ce que fait la nôtre, c’est-à-dire la réduire au silence et à l’impuissance en la contrebattant énergiquement. Nouvelle et essentielle fonction de l’artillerie et qui complète et couronne les précédentes.

Le schéma succinct et fort incomplet que nous venons de tracer suffit à nous faire comprendre quelques-unes des particularités étranges, cent fois répétées, qui caractérisent la bataille actuelle. C’est ainsi que dans les communiqués, — français et ennemis, — on lit continuellement qu’une tranchée prise par l’un des adversaires a été peu après reconquise par une contre-attaque.

Ce curieux va-et-vient de l’assaut, qui se répète continuellement, nous est maintenant facile à comprendre : les grosses densités de bombardement aujourd’hui concentrées en un point rendent celui-ci absolument intenable pour l’adversaire, qui ne peut qu’être tué ou se replier ; l’adversaire vient alors le remplacer après avoir cessé son bombardement, mais il est à son tour bientôt chassé par le bombardement adverse. Mais, me dira-t-on, comment chacun des adversaires peut-il parvenir à la tranchée à occuper à travers les tirs de barrage que l’autre