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pelle. » C’est en effet par centaines de mille chaque jour qu’on les produit en France, en Angleterre… et aussi en Allemagne.

Qu’on me pardonne de m’être étendu quelque peu sur le rôle de la grenade, mais cela ne m’écarte point de mon sujet qui est l’artillerie, bien au contraire. En devenant grenadiers, les fantassins sont devenus en quelque sorte artilleurs, puisque chacun d’eux lance maintenant de petits obus explosifs.

Et puis il y a quelque chose d’attachant, il y a je ne sais quel parfum vieille France dans le nom même et dans le geste semeur de nos grenadiers. Ceux qui, du matin au soir… ou plutôt du matin au matin, émoustillent d’un bras rapide le Boche dans ses repaires sont donc un peu les frères, par la hardiesse, de ce grenadier dont Racine, alors qu’il était correspondant de guerre, nous a dit les exploits et qui s’appelait « Sans-Raison, » ce qui est un bien joli nom pour un grenadier.


Tandis qu’au début de la campagne l’infanterie marcha contre les tranchées presque sans liaison avec l’artillerie, tandis qu’ensuite elle n’attaqua plus sans avoir été précédée d’une « préparation d’artillerie » très intense qui durait quelques minutes, aujourd’hui c’est pendant des heures, pendant des jours qu’on bombarde avant de lancer le fantassin à l’assaut.

Telles sont les trois phases successives qui caractérisent jusqu’ici l’évolution subie par l’attaque dans cette guerre.

Pendant la première, pour les raisons indiquées plus haut, l’infanterie fut exposée à des pertes inutilement terribles en se lançant sur des positions intactes et abritées. On ne tarda pas à reconnaître la nécessité de désorganiser d’abord peu ou prou ces positions, et c’est ainsi qu’on fit précéder au bout de quelque temps les attaques d’un bombardement déclenché à point nommé avec toute l’intensité possible par toute l’artillerie du secteur. Après un certain nombre de minutes, on arrêtait soudain ce bombardement au moment du départ des vagues d’assaut, ou du moins on le reportait plus loin, on « allongeait le tir, » comme disent les idoines.

On fit d’abord assez court ce bombardement préparatoire pour deux raisons : la première est qu’on ne disposait nulle part de stocks de munitions permettant d’alimenter une dépense à la fois intense et très prolongée de projectiles ; la seconde est