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« en vue d’une bonne amitié et correspondance mutuelle, en cas d’attaque, » trouva-t-il facilement des adhésions germaniques, pour constituer la Ligue du Rhin (1658). Les États ne voulaient pas des rois de France comme empereurs, mais ils les acceptaient très volontiers comme associés, défenseurs et alliés. Ces sentimens ne commencèrent à se modifier que quand Louis XIV eut commis la faute à jamais déplorable de la dévastation du Palatinat.

Le XVIIIe siècle fit sentir au corps germanique combien sa faiblesse le livrait en proie aux ambitions étrangères. Foulé aux pieds à chaque « succession » qui s’ouvrait, enrôlant ses soldats et ses chefs au service des causes d’oppression partout dans le monde, il constatait l’infériorité de sa forme politique, alors que les autres pays de l’Europe prenaient conscience de leur dignité et de leur liberté. Ce fut le comble quand la Révolution et l’Empire eurent passé et repassé, en trombes alternatives, sur l’immense territoire, devenu un champ de bataille sans défense. A la fin, on eut le sentiment, dans l’Allemagne entière, que ce régime de morcellement à outrance et de piétinement continu, sous prétexte de liberté, n’était pas le meilleur. Alors se formèrent les associations pour le salut de la patrie ; alors l’Allemagne résolut de chercher ses défenseurs dans son propre sein ; alors elle exulta à sentir naître en elle un État solidement bâti et une dynastie militaire vigoureuse. Infiniment plus actuel et présent que les protecteurs lointains et douteux des « libertés germaniques, » parut cet État qui apportait aux populations allemandes, tirées de leur engourdissement, le premier espoir du relèvement par l’unité.

C’est ce sentiment que résume, non sans hyperbole, la fameuse phrase de Treilschke : « Tous les livres, toutes les œuvres d’art qui révèlent la noblesse du travail allemand, tous les grands noms allemands que nous considérons avec admiration, tout ce qui annonce la gloire de notre esprit, proclame la nécessité de l’unité, nous conjure de créer dans l’ordre politique cette unité qui existe déjà dans le monde de la pensée. Et notre douleur est décuplée, en pensant que chaque œuvre isolée est tant admirée, tandis que notre peuple tout entier est raillé au dehors. » Treitschke, sourd, et têtu en raison de sa demi-impotence, exprimait toute sa vie intellectuelle et toute sa vie active comprimées en ces aphorismes qu’un peuple docile