Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son mélange d’exotisme et de produits du terroir, a été inaugurée solennellement, ces jours-ci, en présence du résident général, du conseil municipal de Fez et des ministres de Sa Majesté chérifienne. C’est la faillite suprême et complète de la couleur locale. Jusqu’aujourd’hui, on avait pu considérer le Maroc comme l’ultime conservatoire de cette vieille couleur si chère aux romantiques. Maintenant, c’est fini : le dernier sanctuaire est violé.


Il faut en faire notre deuil. Ce qui nous console, c’est qu’il est toujours possible de sauver les vieilles choses réellement belles et qui en valent la peine, au milieu de toutes les poussées utilitaires de la vie moderne. Et l’on peut déblatérer tant qu’on voudra contre l’invasion du monde islamique par la camelote européenne : c’est un mal nécessaire qu’on est bien forcé de subir. En somme, l’honneur est sauf, si, même dans cette camelote, on a su mettre un peu de goût : ce qui, pour des Français, doit être toujours facile.

Mais, on ne saurait trop le répéter, un événement comme cette foire de Fez, ouverte quelques mois après l’Exposition de Casablanca, doit surtout nous réjouir, parce qu’il semble annoncer dans nos sphères gouvernementales, comme dans le grand public, un esprit nouveau.

Est-il donc vrai que nous allons enfin sortir de chez nous, pour nous enquérir du goût de nos cliens, pour essayer de le satisfaire, puis de le diriger doucement, de le corriger même à son insu ? Il en serait grand temps. Et il est vraiment incroyable que nous ne comprenions pas l’invitation muette que nous adresse notre ancienne clientèle, notre clientèle perdue. Car il ne s’agit pas de renier ou de trahir nos traditions. On ne nous demande pas de déverser à flots de la laideur sur le monde, comme nous le reprochons à juste titre aux Allemands. On ne nous demande que de reprendre une habitude bien française, qui est de faire quelque chose de rien ! Quoi de plus classique et de plus racinien ? Nos délicats ne peuvent qu’acclamer une industrie nouvelle, qui ne serait plus de la camelote, mais le triomphe de l’art sur la matière, qui serait faite de rien, qui ne coûterait presque rien, et qui serait, en même temps, la plus jolie du monde. Il faudrait aussi qu’elle