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mémoire encore tout éblouie par les pages déjà anciennes d’un Pierre Loti ou d’un André Chevrillon, on entrevoit, sous ce vocable de « Fez, » tous les chatoiemens et tous les rutilemens d’un Sésame plein de trésors, de parfums, de musique et d’ombre fraîche.

Si l’on a aimé l’Islam et l’Orient mercantiles, si l’on s’est plu à l’amusant bariolage de leur décor, on se retourne immédiatement vers ses vieux souvenirs, pour en tirer sa « composition de lieu ; » on évêque le labyrinthe un peu mystérieux de tous les bazars qu’on a parcourus, ceux d’Afrique et ceux du Levant.

On se rappelle Alger et les arcades de la rue de la Lyre, — rue déjà tout européenne d’aspect, mais où les mœurs locales ont conservé leurs droits ; — boutiques étroites où, derrière des piles de cotonnades roses et d’étoffes voyantes, le marchand, couché sur un banc de bois, fume son narguilé, en attendant le client débonnaire ; où celui-ci s’attarde et s’éternise, où l’on n’est jamais pressé, où l’on n’entre, semble-t-il, que pour le plaisir d’échanger des propos amènes, en maniant de belles étoffes, agréables aux doigts et réjouissantes pour les yeux, parmi les fumées entêtantes du kiff et les spirales vaporeuses du chébli… Puis les souks de Tunis, — leur pénombre tiède, où éclatent les enluminures violentes et trop neuves des piliers et des échoppes, où l’on sent le cuir frais et l’essence de roses : souks des cordonniers, souks des parfumeurs, ceux-ci les plus noyés d’ombre, comme des officines où s’élaborent de délicats mystères, où les chefs-des-odeurs-suaves, astucieux Israélites, coiffés du tarbouch conique, avec des gestes pompeux d’alchimistes, vous versent goutte à goutte et vous vendent au poids de l’or les parfumeries de Grasse et de Marseille dans de petits tubes en cristal doré…

Et l’on rêve aux bazars du Caire, de Louqsor et d’Assouan, — trop modernisés, trop infestés de touristes et rendus redoutables par la subtilité commerciale de leurs marchands arméniens, syriens ou coptes, où l’on se heurte aussi à trop de scarabées en toc, d’amulettes nubiennes et de crocodiles empaillés, — mais où filtre, entre les toiles tendues ou les planches des galeries couvertes, la lumière rose et légère du Sud… Et ceux de Stamboul, immenses comme une ville, envahis et regorgeans de camelote germanique, mais où l’on a le loisir, après une