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Eugène, embrasse pour moi ta femme et ta fille. Je te dis mille choses aimables et tendres.

« JOSEPHINE.


« N’oublie pas d’envoyer pour l’Empereur du fromage de Parmesan, car on en manque ici, et l’Empereur en demande souvent. »


L’Empereur rentre à Saint-Cloud le 14 août, après un terrible voyage, où il ne s’est pas plus ménagé qu’il n’a ménagé Joséphine. Par des chaleurs suffocantes, on est en route souvent la nuit, ainsi d’Auch à Toulouse, de Toulouse à Montauban, de Moissac à Agen, d’Agen à la Réole, de Bordeaux à Saintes, de Rochefort à la Rochelle, de Fontenay-le-Comte à Napoléon ; Joséphine est épuisée, mais elle suit. Vraisemblablement est-ce là ce qui l’a rendue malade ; mais ses inquiétudes au sujet de « sa position » ont aussi assurément influé sur sa santé.


Saint-Cloud, ce 22 septembre 1808.

« Tu ne seras pas étonné que j’aie été malade, mon cher Eugène ; tu sais combien de peines j’avais éprouvées, ma tête s’en est ressentie. L’hiver dernier il a fallu tant prendre sur moi qu’il s’est formé un amas d’humeurs qui a occasionné un dépôt qui, heureusement, a abouti à l’extérieur, ce qui m’a fait souffrir horriblement. L’Empereur, dans cette circonstance, m’a prouvé son attachement par l’inquiétude qu’il a témoignée. Il se relevait souvent la nuit jusqu’à quatre fois pour venir me voir. Depuis six mois, il est parfait pour moi, aussi l’ai-je vu partir ce matin[1]avec peine, mais sans aucune inquiétude pour moi. Ce n’est pas que je n’aie quelques ennemis que je suis tout étonnée de me trouver, car je n’ai jamais fait de mal à personne ; mais heureusement qu’ils sont en petit nombre et plusieurs sont déjà loin d’ici, tels par exemple que le prince Murat. Je puis sans injustice citer celui-là. Sa haine pour moi est si passionnée qu’il ne cherche pas même à la cacher et tu aurais peine à concevoir les propos qu’il s’est permis contre moi en manifestant son désir du divorce, mais je me venge de lui comme des autres en les méprisant souverainement et en ne cherchant pas à leur nuire, et l’Empereur est trop juste pour ne

  1. Il part pour Erfurt le 22, à 5 heures du matin.