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VIII. — LA 2e ARMÉE CHARNIÈRE ET ABATTANT

Retournons-nous, maintenant, vers la 2e armée engagée depuis la veille dans la bataille de charnière qui, à la fois, protège Nancy et défend la trouée de Charmes.

Dans le répit que lui donne la nuit, la première pensée du général Castelnau est pour son artillerie. De la petite école de Pont-Saint-Vincent où est son quartier général, il répète en lui-même la bataille du lendemain ; car il sait qu’elle décidera du sort de la région de l’Est et peut-être, si l’ennemi était victorieux, du sort de la France. Sa troupe s’est appuyée, la veille au soir, sur Borville. C’est ce point qui va devenir le nœud de la bataille.

Le piton de Borville (342 mètres) domine au loin la contrée et commande au Sud la trouée de Charmes, de même que Flainval (316 mètres) commande, au Nord, la route de Lunéville. Entre ces deux massifs de résistance et le long des crêtes qui protègent la Moselle (Saffais 367 mètres, Belchamps 413 mètres), il faut saisir l’armée allemande comme dans un étau si elle fait un pas de plus vers la trouée de Charmes. Borville présente un autre intérêt, non moins capital aux yeux du général : par ce point culminant, il maintient ses liaisons avec la 1re armée. Si la fissure qu’escomptent les Allemands devait se produire, elle se produirait là. Donc, pendant la nuit, toute l’artillerie disponible grimpe aux pentes du piton, à la cote 342 ; à l’aube, elle est massée sur le plateau, braquant ses bouches à feu sur les chemins qui se concentrent vers la trouée de Charmes (voie ferrée de Blainville à Bayon et Charmes, routes de Gerbéviller, de Xermaménil, de Damelevières). C’est de là que partiront les rafales qui faucheront les pentes du bois de Jontois, du bois de Filière, de Rozelieures et de la côte d’Essey. On peut dire que ce piton est le clou enfoncé dans cette terre lorraine et sur lequel se brisera l’une des pinces de la tenaille dont l’ennemi prétend saisir la chair de la France.

Cette disposition capitale étant solidement prise et les ordres donnés, le général passe en revue, par la pensée, tout son plan de bataille. Si l’armée du prince Ruprecht continue à s’avancer vers le Sud, elle sera arrêtée, depuis la Mortagne jusqu’à Borville, par l’action résolue du 16e corps, d’une