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troupes qui se replient. De ce côté, comme on le voit, la journée a été dure. Mais le mouvement de retraite est seulement de quelques kilomètres. L’ennemi n’a pas pu arracher l’attache qui accroche la 1re armée aux Vosges et il n’a pu forcer le barrage. En repliant son aile droite sur les positions du col de la Chipotte, le général Dubail a choisi le terrain où sa magnifique résistance finira par avoir raison de l’offensive ennemie.

Avant de quitter la droite de la 1re armée, il n’est pas inutile de se rendre compte du caractère de la retraite qu’elle vient d’accomplir du Donon au col de la Chipotte. Le colonel Hamon, qui a pris à cette retraite la part très honorable que nous venons d’indiquer, la juge sévèrement : exemple frappant de l’impossibilité où est le combattant de voir et surtout d’apprécier les ensembles.


Voilà trois jours, écrit-il, que nous nous replions constamment sans un but bien défini. Depuis que nous avons dû lâcher le Donon, nous faisons de la mauvaise besogne. Le Donon perdu, que nous servait la vallée de Celles ? Il eût mieux vallu ne pas se précipiter si vite en Alsace d’abord, puis ne pas faire ces replis de petite envergure. Il fallait lâcher le contact par une marche de nuit et nous retirer carrément sur la rive gauche de la Meurthe avec tête de pont sur la rive droite. Peut-être eussions-nous évité ainsi les désastres qu’ont subis Raon-l’Etape, etc., que les Allemands ont systématiquement brûlés et pillés. Quelle barbarie !


Le très intelligent et très brave officier supérieur qui s’exprime ainsi ne se rend pas compte que c’est précisément cette lutte pied à pied qui fait le succès indirect et la gloire incontestable de l’armée Dubail. Si elle avait laissé l’ennemi plus libre, si elle ne s’était pas accrochée à lui désespérément, si, notamment, en découvrant le chemin de la trouée de Charmes, elle lui avait laissé une porte ouverte, il se serait sûrement dérobé : se protégeant par des tranchées et de l’artillerie lourde, il se fût précipité sur son véritable objectif et il fût tombé en masses sur la 2e armée. En le tenant à la gorge. en ne lui laissant pas une minute de répit et en défendant la plaine pas à pas, l’armée Dubail et, en particulier, le 21e corps annihile, en quelque sorte, toute l’armée du général von Heeringen : l’armée du kronprinz de Bavière, entrée à Lunéville le 22, ne peut en déboucher, tandis que des renforts arrivent de toutes parts aux 1re et 2e armées françaises et leur permettent d’accomplir la belle manœuvre que la vue supérieure du haut commandement a su préparer.