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et partent au grand trot. Quelques instans après, courte fusillade. Nos hussards tirent sur des patrouilles.

Voici que des soldats en pantalon rouge passent au pas gymnastique dans la grande rue, le fusil à la main, l’œil aux aguets. Ils appartiennent au 125e de Poitiers. Dans les champs, à droite et à gauche du village, une longue ligne de tirailleurs s’avance… Réméréville est délivré. Quelle joie ! Que d’espoirs dans tous les cœurs…

Tout d’un coup, une furieuse canonnade. Les canons français sont tout près du village, les obus sifflent en passant dans l’air. Ils font, au-dessus de nos têtes, comme une voûte sonore. Les canons allemands répondent. Quel vacarme !… Des shrapnells roulent sur les toits, cassent les vitres. La fusillade est très vive aux lisières du village, vers le bois de la Faulx. Des blessés arrivent à l’ambulance ; bientôt, tous les lits sont occupés… Le canon tonne toujours très fort. Il se tait vers huit heures. Mais la fusillade crépite et les mitrailleuses font leur tac-tac-tac régulier. Le combat semble très violent du côté d’Erbéviller. Peu à peu, vers neuf heures, la fusillade s’éteint. Quelques coups encore, puis le silence plane. La nuit est très obscure, toujours des blessés arrivent à l’ambulance. Il y en a du 125e et du 114e. Il y a aussi des Allemands. Les blessés du 125e racontent qu’ils ont refoulé l’ennemi dans le bois de la Faulx. Ceux du 114e racontent qu’ils ont attaqué le cimetière d’Erbéviller, et que ce fut terrible. Les Allemands avaient organisé là une véritable redoute entourée de fils de fer et d’abatis. Nos soldats étaient tombés sur les fils de fer, qu’ils ne voyaient pas. Toute la nuit se passe en alarmes. Les femmes et les jeunes, filles restent seules et se multiplient pour adoucir les souffrances des malheureux qui gémissent. Pendant toute la nuit, les blessés arrivent.


Stendhal envierait ce récit sobre et simple.


En fin de journée, les forces françaises occupent le front Champenoux-Réméréville-Courbessaux. Sur la route de la frontière à Lunéville, le défilé allemand est sérieusement menacé.

Un récit allemand peint l’aspect tragique que présente Einville à ce moment :


Nous sortons de Lunéville le 24 août et nous partons à Einville, au lazaret de campagne n° 7. Quel endroit de désolation ! J’y ai passé deux soirs dont je n’oublierai jamais l’horreur. Les grands blessés sont couchés dans la belle et grande villa d’un notaire français. Ils sont là, étendus l’un près de l’autre, dans le jardin, sur les gazons, jour et nuit, sans être encore pansés. Les médecins travaillent avec un dévouement admirable, mais ils ne peuvent venir à bout de la tâche effroyable qui leur incombe. Jamais je n’oublierai l’image d’Einville, sur le canal de la Marne au Rhin. Des habitans français d’Einville, de pauvres journaliers, m’ont aidé à rechercher un jeune officier au milieu de l’affreuse moisson. Ils l’ont fait à la sueur de leur front ; mais quand j’ai voulu les récompenser de leur dur travail ils ont unanimement refusé… Voici maintenant que s’avance un triste