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Cette nouvelle bataille (du 22 août) nous donna la ville de Lunéville où un zeppelin avait dû atterrir quelque temps auparavant. Nous passâmes la nuit dans le salon d’un homme riche où l’on dormit assis sur les fauteuils à coussins. Le lendemain (23 août), besogne dure et à laquelle nous n’étions pas accoutumés : nous étions fossoyeurs. Ce devait être un jour d’honneur pour notre brigade (vraisemblablement la 32e brigade, 70e et 174e régimens, de la 31e division du XXIe corps). Elle devait entrer musique en tête à Lunéville. Cela était réservé pour nous, « la brigade de fer, » comme reconnaissance et récompense de notre bravoure. Mais la chose tourna mal ; à peine étions-nous en position que l’ordre du départ immédiat nous fut donné. Un combat était de nouveau engagé. Nous marchâmes tout le long du jour pour atteindre, tard dans la soirée, la petite ville de Gerbéviller. Là nous reçûmes au bivouac le premier tonneau de bière[1].


L’occupation de Lunéville était un succès dont on fit grand état en Allemagne. On alla jusqu’à, dire qu’elle équivalait à la prise de Verdun. Cependant, la résistance des troupes françaises dans la journée du 22 août, notamment au combat de Flainval, aurait dû avertir les chefs allemands qu’ils n’avaient pas affaire à des armées épuisées. Mais ils s’en rapportaient aux reconnaissances qui leur dépeignaient la « déroute » des Français comme définitive et ils se grisaient de leurs propres communiqués.

Comparons les deux comptes rendus officiels : ils traduisent l’esprit des deux commandemens :

Communiqué allemand. Berlin, 24 août (en fait, le communiqué est du 23 soir, comme l’indique le mot « aujourd’hui ») :

« Les troupes qui, sous la conduite du prince héritier de Bavière, furent victorieuses en Lorraine, ont franchi la ligne Lunéville-Blamont-Cirey. Le XXIe corps d’armée est entré aujourd’hui à Lunéville. La poursuite de l’ennemi a commencé à porter ses fruits ; l’aile des Vosges fit de nombreux prisonniers et a pris 150 canons et des drapeaux. »

Et voici le Communiqué français :

« 22 août, 23 heures. — En Lorraine. — L’offensive allemande, qui avait répondu à notre attaque et continué pendant la journée d’hier, a été arrêtée aujourd’hui. Il ne s’est produit aucune attaque allemande contre la position désignée sous le nom de « Grand-Couronné de Nancy. »

« Des engagemens ont eu lieu sur les hauteurs au Nord de

  1. Frankfurter Zeitung du 27 septembre 1914.