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au Nord-Est, successivement de passage en passage, et pour ainsi dire doigt par doigt. Nous l’avons vue, enfin, arrêtée sur les crêtes, s’y cramponnant, attendant le renfort qui venait. A partir de ce moment, la situation était renversée, et c’était désormais l’armée de Falkenhayn, c’était l’invasion austro-allemande en Roumanie, qui jaillissait de toutes les forêts, coulait par tous les cols, dans toutes les vallées, et débordait, ou s’efforçait de le faire, sur tout le versant moldave et tout le versant valaque. Douze ou quinze ouvertures, douze ou quinze coupures sont pratiquées dans cette chaîne. C’est près de Dorna-Vatra, et vers le Kelemen, on se le rappelle, que s’est établie la liaison, que s’est faite l’articulation de l’armée russe et de l’armée roumaine. Falkenhayn devait être naturellement tenté d’y porter, pour les disjoindre, la pointe de son plus gros couteau. Mais il devait aussi se laisser séduire par l’idée de couper en un ou plusieurs points la longue ligne qui, venant de Czernowitz, de Kolomea et de Stanislau, pour ne pas remonter plus haut, traversant la Galicie, la Bukovine, la Moldavie du Nord au Sud, côtoyant parfois à très courte distance la frontière hongroise, épousant le contour des Carpathes, et encerclant comme en un second anneau la Transylvanie, conduit à Bucarest par Harlau, Roman, Bacau, Focsani, Buzeu et Ploiesci ; c’est-à-dire le chemin de grande communication entre la Russie et la Roumanie, ou plus exactement entre le front russe et le front roumain, la grande artère par où, étant donnés les dispositifs nécessaires, peut, de l’un à l’autre, circuler le sang et la force. Falkenhayn a donc attaqué au plus près de la jointure, au col de Tölgyes ; et, simultanément, aux passages voisins, en glissant, le long des Carpathes, du Nord au Sud, au col de Békas ; sur le Trotus (puisqu’il faut adopter une orthographe qui rend très imparfaitement la prononciation et dont la fantaisie ne facilite pas les recherches), au col de Gyimès, sur l’Uzu ou Uza, sur l’Oitoz, dans la région de Tergu-Ocna ; vers Zabola ; au total, six coups ou six feintes, qui ont été pour la plupart esquivés ou parés, deux ou trois avec une riposte heureuse. Mais, sur l’autre secteur du front de Transylvanie, non plus sur les Carpathes, sur les Alpes, d’Est en Ouest, d’autres passages s’ouvrent, plus dangereux encore, parce qu’ils aboutissent au cœur. Falkenhayn paraît n’avoir fait que tâter, à l’Est, celui de la Bodzaou Buzeu ; à l’Ouest, la passe de Vulkan, où il a rencontré une vive résistance, qui n’est pas entièrement réduite. Au Sud-Ouest, les Austro-Allemands s’agitent vers Orsova, et des Bulgares se montrent vers Widdin.

Au centre, par le col de la Tour-Rouge, au-dessous de