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continuelles ou intermittentes canonnades. En son ensemble, excepté par son aile gauche qui bat de temps en temps un coup plus violent, l’armée de Salonique, cette quinzaine, n’a pas fait de grands mouvemens. On dirait que quelque chose, qui n’est pas exclusivement d’ordre militaire, la retient et l’attache à sa base; qu’elle est forcée de regarder derrière elle.

De la Pripet aux Carpathes, sur le Stokhod, entre Loutsk et Vladimir-Volynski, plus bas vers Brzezany et Stryj, sur la Zlota-Lipa et le Dniester, plus bas encore, dans la région montagneuse de Kirlibaba, Kimpolung et Dorna-Vatra, une gigantesque bataille est engagée et soutenue depuis des semaines, dont on ne sait presque rien, sinon précisément qu’elle est gigantesque, qu’elle n’en finit pas, et qu’étant comme diffuse dans le temps et dans l’espace, elle passe pour les deux partis, Austro-Allemands et Russes, par toute sorte de péripéties, favorables ou contraires selon l’instant et le lieu ; en somme, cependant, d’après ce qu’on en devine, favorable aux Russes, qui du moins repoussent partout les assauts furieux déchaînés par Hindenburg, et çà et là font plus que de les repousser. Et l’on devine aussi que, si vaste que soit le champ ou la succession de champs où elle se déroule, l’objet de cette bataille colossale est situé en quelque sorte hors d’elle-même. On devine qu’elle tend comme un rideau de feu, à l’abri duquel s’effectuent, dans les deux camps, des déplacemens de troupes; la guerre glisse de la Dwina sur le Danube, et de la Baltique vers la Mer-Noire. Les adversaires rassemblent tout ce qu’ils peuvent trouver de disponible, et, essayant mutuellement de se paralyser ailleurs, le jettent à l’endroit qu’ils jugent le plus propice ou le plus menacé. Ce n’est pas par hasard que maintenant les communiqués de Petrograd mentionnent comme un secteur du front russe le front roumain ; et c’est vraiment en Roumanie que, dans les minutes haletantes que nous vivons, se concentre, avec l’intensité de l’action, l’intérêt du drame.

Nous avons suivi sur la carte les opérations de l’armée roumaine, soit qu’elle en ait choisi le terrain en Transylvanie, soit qu’il lui ait été imposé; dans la Dobroudja. Nous l’avons vue, dans la nuit même où venait d’être déclarée la guerre à l’Autriche-Hongrie, descendant des Carpathes et des Alpes transylvaines, s’infiltrant par tous les cols, puis s’épandant par toutes les vallées, rapidement aux premiers jours, presque torrentiellement, et presque jusqu’au bord de la plaine hongroise. Ensuite, par les mêmes vallées et par les mêmes cols, nous l’avons vue refluer sous la pression de Falkenhayn, exercée de l’Ouest