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les ennemis de la révolution. Sans doute les apôtres s’en donnèrent-ils à cœur joie. L’un d’eux, Delbos, apôtre de Jayac, signale au Comité révolutionnaire de Montignac un « muscadin » que le Comité recherchera : « Une négligence de votre part serait un crime ! » Il moucharde encore un peu et se plaint d’avoir été calomnié ; le Comité devra poursuivre le calomniateur : « si vous êtes nonchalans à rechercher l’auteur de cette perfidie, je vous dénonce tous ! » Lakanal avait organisé la délation dans la Dordogne.

Cet affreux bonhomme fut membre du Conseil des Cinq-Cents, jusqu’au 30 floréal an V. Alors, sa carrière politique est finie. Il devient professeur dans les écoles centrales de la Seine, puis économe du lycée Bonaparte ; et, sous l’Empire, il attrape le titre d’inspecteur des poids et mesures. Les Bourbons, à leur premier retour, le laissent en place. Durant les Cent-Jours, il ne bouge pas. Le deuxième retour des Bourbons l’inquiète : on parle d’une amnistie à laquelle ne seraient pas conviés les vieux régicides, fonctionnaires pendant « l’interrègne. » Lakanal jugea opportun de s’esquiver. Il partit pour l’Amérique ; et son exil, que M. Welvert a conté dans les Feuilles d’Histoire, est une aventure étonnamment bouffonne. L’ancien montagnard, qui jadis vilipendait « le fourbe La Fayette, » arrivait dans le nouveau monde avec une chaleureuse recommandation de La Fayette pour Jefferson. Il s’établissait dans le Kentucky, colon, planteur, ignorant tout de la culture. Il éprouvait mille ennuis. Et, en souvenir de ses idées républicaines, il avait des esclaves et les traitait « comme des amis malheureux. » Après maints déboires, il manqua d’argent, si bien que, pour s’en procurer, il entra dans une conspiration ridicule, et dont il fut peut-être l’improvisateur, et qui tendait à installer sur le trône du Mexique le roi Joseph, en Amérique depuis Waterloo. Naguère, Lakanal écrivait à Jefferson : « L’ambition d’un seul homme a déchaîné sur nous les nations enragées… » Il détestait alors Napoléon. Mais, un peu plus tard, il écrit au roi Joseph : « la profonde vénération que j’ai pour votre auguste dynastie… Votre Majesté… notre dévouement sans limites à son illustre dynastie… » Le conventionnel émérite, qui a été fonctionnaire de l’Empereur, demande un roi ; et, l’enveloppe, il la ferme d’une cire cachetée aux insignes de la Convention, le bonnet phrygien coiffant la pointe d’une pique ; autour de cet emblème, ces mots : « Lakanal, député de la Convention nationale. » Il suppliait le roi Joseph de lui accorder premièrement une décoration espagnole, deuxièmement