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longtemps et devenus des esprits purs, il est vain de nous présenter l’histoire autrement. Et, quand nous serons devenus des esprits purs, toute histoire nous sera vaine.

Joseph Lakanal était né en 1762 dans la paroisse de Serres, près de Foix, diocèse de Pamiers. Son père, un forgeron, ne savait pas écrire ; ni sa mère, pauvre bonne femme qui mourut quand il avait quatre ans. Mais lui, sut écrire. D’abord, l’abbé Font, curé de Serres, le débrouilla ; puis il entra chez les Doctrinaires, qui étaient d’excellens éducateurs. Il apprit le latin qui, plus tard, lui valut parmi les énergumènes, un prestige. Même, il fut agréé dans la congrégation des Doctrinaires, prit la soutane et enseigna, dit-il, « avec quelque distinction. » A Lectoure, Moissac, Gimont, Castelnaudary, Périgueux, Bourges et Moulins, il « parcourut tous les degrés de la hiérarchie scolaire ; » il était régent de philosophie au collège de Moulins, le 30 janvier 1791, lorsqu’il prêta bien volontiers le serment civique. Aux Doctrinaires, il y avait des professeurs laïcs et qui cependant portaient la soutane. Joseph Lakanal aurait pu enseigner aux Doctrinaires et porter la soutane, sans pour cela qu’il fût prêtre. Mais il le fut, bel et bien. Dont il enrage, en 1793. Le 5 frimaire an II, il écrit à la Convention : « Dans le cours de la maladie la plus grave que j’aie essuyée de ma vie, on me fit passer, un beau matin, à travers toutes les mômeries sacerdotales, depuis ce qu’on appelait la confirmation jusqu’au dernier période de l’hypocrisie humaine, le sacerdoce. » Il racontait à qui voulait l’entendre et, par exemple, à un Bergeracois anonyme qui nous a conservé ce propos, qu’en deux heures les prêtres abominables, profitant de son état morbide, lui avaient conféré tous les grades et qu’à son réveil il s’était trouvé revêtu du caractère indélébile. Et de s’excuser : « C’est peu, dans la vie, de n’être qu’un jour malade d’esprit et de corps. » Il ajoute : « Depuis, j’ai été exécré par tous les bourreaux en étole, tant anciens que du nouveau style. La députation de l’Ariège, à laquelle j’appartiens, attestera qu’ils ont employé vainement des mesures tortionnaires pour me faire sacrifier au mensonge. Je n’ai jamais messé, confessé, etc., etc. Ainsi je n’ai jamais été prêtre, et tout ce qui concerne cette horde de jongleurs est étranger à mon âme franche et loyale… » Son âme franche et loyale raconte ici une histoire de brigands, à laquelle on ne croirait pas sans imprudence. Lakanal n’est pas toujours si véridique ! Il a composé une Notice sur J. Lakanal, où il prétend qu’il avait professé pendant quatorze années avant la révolution : « c’est-à-dire à partir de 1775, remarque M. Labroue ; il aurait eu treize ans ! » Et il a imprimé aussi un Exposé