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officier du Roi. » Rien que ces premières, toutes premières touches, suffisent pour donner, avec une gaieté juvénile et brillante, une ombre de poésie, presque de mystère, à cette figure de soldat : soldat de fortune qui s’ignore lui-même à demi, ne sachant rien de ses origines et de son lointain passé. Tout dans la peinture musicale du personnage, est délicatesse et distinction. Si « le vin » et « les belles, » « l’amour et le combat » demeurent ici les élémens essentiels et comme spécifiques du genre, sur aucun de ces traits la musique n’appuie ; loin de les abaisser ou de les grossir, elle les affine et les relève, les sauvant avec soin de toute apparence, de tout soupçon de trivialité. « Vous me verrez le verre en main, » chante George Brown en s’asseyant à table. Et jamais on ne vit officier d’opéra-comique boire avec plus d’élégance, aux sons d’une musique plus claire, plus vive, plus spirituelle, plus française en un mot, « à l’amour, à la gloire, ainsi qu’à la beauté. » Non pas que les paroles du toast accoutumé soient ici plus relevées que dans le Chalet : le même Scribe en est l’auteur. Mais il s’en faut que le musicien soit le même. Musicien, non d’amour, plutôt de galanterie, Boieldieu sait l’être avec bien de la grâce, témoin le duo de George et de l’accorte fermière, le duo « de la peur, » où ce mot, le plus étranger qui soit aux militaires, prend et reprend sans cesse les intonations variées et toujours légères que peuvent lui donner, légères elles-mêmes, l’ironie et la sensibilité.

Resterait à parler de l’air fameux : « Ah ! quel plaisir d’être soldat ! » Et pourquoi n’en parlerait-on point, de ce vieil air, si jeune toujours ? Air d’officier, ou de l’officier par excellence, air professionnel, air-programme, il « embrasse, » comme on dit, — quand on dit mal, — toute la « carrière » des armes. Il ne nous en présente que d’agréables d’images et, si l’on veut, l’illusion, mais charmante, ou, comme on dit encore, le mensonge joyeux. La guerre qu’il célèbre n’a rien de commun avec celle que maudissait le poète antique (horrida bella), ou celle qu’a chantée, — sur quel autre mode ! — le grand musicien réaliste Moussorgsky. « Ah ! quel plaisir d’être soldat ! » Cela ne ressemble pas davantage, malgré ce début, ou ce « départ enlevant, » à l’ictus initial de la Marseillaise. Cela n’est pas héroïque, à peine belliqueux. Mais, tout de même, comme c’est militaire ! Vous savez le mot qui revient constamment dans les