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encore mieux que lui, qu’une marche militaire allemande a de bien autres et plus abominables significations.

Il y a, dans l’œuvre de Meyerbeer toujours, une scène de soldats, antérieure et supérieure, — de très haut, — à celle-là : c’est le finale du troisième acte du Prophète. Même situation (une sédition militaire maîtrisée par un chef), mais non pas du tout même musique. Le passage est parmi les plus nobles et les plus purs de l’opéra meyerbeerien, parmi ceux qu’il faut sauver de l’oubli, que dis-je, du mépris auquel certains prétendent aujourd’hui condamner tout le répertoire du puissant dramaturge lyrique. Le chœur même de la révolte est très bref, ne consistant guère que dans un mouvement, une poussée brutale, arrêtée aussitôt. La réponse, au contraire, est une longue, magnifique harangue, et d’un grand capitaine. Un Conciones lyrique ne saurait en offrir de plus éloquente. Admirable de composition et de développement, elle l’est aussi de variété. Elle commence dans la forme du récitatif : d’un récitatif oratoire et mélodique, je veux dire qui parle et qui chante à la fois, dont les notes s’appliquent, adhèrent aux paroles, en renforcent, en centuplent l’expression, en avivent toutes les couleurs et les moindres nuances même. Il en est, de ces notes, de ces phrases, d’irritées et d’ironiques ; les unes menacent, réprouvent et maudissent ; d’autres tombent et pèsent lourdement sur les coupables, comme pour les écraser ; mais d’autres les relèvent repentans, les exaltent et les enflamment. Ensuite éclate un éblouissant dialogue entre les clairons de l’armée assiégeante et ceux de la ville de Munster assiégée. Par-dessus, et très haut, plane l’exhortation, la proclamation, déjà presque victorieuse, avec, et justement sur ce mot : « la victoire, » une modulation qui découvre, d’un seul coup, tout un nouvel ordre, tout un nouveau monde sonore. L’apostrophe enfin se change en un hymne guerrier et religieux, où se reconnaît, transfiguré, le thème liturgique du Stabat. Là, tout est magnifique : non seulement les strophes, mais les antistrophes, et les « passages, » ou les « rentrées, » qui les relient : vocalises éperdues et comme ivres d’une joie héroïque et sacrée ; thèmes qui tressaillent et bondissent d’allégresse, pareils aux montagnes dont parle la Bible ; enfin, çà et là, sur les lèvres inspirées du Prophète, on dirait presque du Psalmiste, dans sa voix et, pourvu que l’interprète, — un Jean