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militaires, a su chanter également. Aux soldats du Chalet ou de la Fille du Régiment, je préfère ceux du Pré aux Clercs, sérieux, et même tragiques. L’élégante et chevaleresque partition d’Hérold est toute bruissante, par endroits, d’un cliquetis d’épées. Le chœur soldatesque du premier acte est beau de rudesse, d’insolence et de colère. Mais celui des archers, au dernier acte, est d’une plus sombre beauté. À ce degré de puissance, le génie, — en vérité le mot n’est pas trop fort ici, — le génie de l’opéra-comique français n’avait pas encore atteint. Il est sinistre, ce chœur, espèce de ronde farouche, cynique, à deux pas de la rencontre furieuse, et qui sera mortelle, de Comminge avec Mergy. Entre les couplets, sur un mode lugubre, l’exempt et les archers, qui de loin surveillent le combat, échangent de funèbres mots d’ordre. De mesure en mesure, presque de note en note, plus d’inquiétude et d’effroi se répand. Rythmes et valeurs pointées, frêle et tremblant motif, phrases étouffées et craintives, déclamation morne, à mi-voix, dernière reprise du chœur à voix plus basse encore ; enfin, pour conclure, la fameuse ritournelle escortant au fil de l’eau la barque funéraire (« cosi sen vanno su per l’onda brima »), tout fait de cet épisode lyrique un des plus émouvans entre ceux où des soldats figurent, où passent l’ombre et l’horreur de la mort.

Souhaitez-vous d’autres scènes, militaires toujours, mais plus vivantes ? Relisez le second acte de l’Étoile du Nord. La vie d’un camp y est représentée. Ce camp fut prussien avant d’être russe. Le Camp de Silésie, tel était le titre de l’ouvrage composé par Meyerbeer, en 1844, pour Berlin, et qui plus tard, retouché, transformé, devint, à Paris, l’Étoile du Nord. Ouvrage patriotique à l’origine, en l’honneur de Frédéric II, lequel, il est vrai, « n’y paraissait point aux yeux, mais seulement aux oreilles, par un air de flûte joué dans la coulisse[1]. » En revanche, on pouvait contempler sur le théâtre, en leurs uniformes variés, les divers régimens de la guerre de Sept Ans. D’où la prédilection des critiques d’outre-Rhin, tels que feu Hanslick, de Vienne, pour « le seul ouvrage véritablement allemand du maître prussien. A nulle autre composition de Meyerbeer la nation allemande ne se trouva plus directement

  1. Blaze de Bury : Meyerbeer et son temps.