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suivre à travers toute la campagne les principales manifestations. Au début, les troupes qui envahirent la Belgique avaient été tenues, sans doute à dessein, dans une ignorance complète de la déclaration de guerre anglaise, et elles n’en eurent connaissance que lorsqu’elles virent en face d’elles les uniformes khakis[1]. Elles éprouvèrent à ce spectacle la déception d’un joueur heureux auquel l’intervention hostile d’un ami supposé enlève à l’improviste sa meilleure carte. Aussi quelles rancunes s’amassent dans leurs-cœurs ! D’après Kutscher, l’aspect des premiers cadavres anglais épars sur le sol excite parmi ses hommes un accès de « terrible indignation » (furchtbare Entrüstung). Plus tard, quand son régiment croise un convoi de prisonniers, des poings menaçans se dressent dans leur direction, tandis que des exclamations furieuses s’échappent des rangs : « Vous vous battez contre votre propre race[2] ! » Les mêmes cris saluent, à la sortie de Maubeuge, le défilé des soldats britanniques de la garnison, « ces infâmes traîtres au germanisme et à la race blanche[3]. » L’issue du siège d’Anvers, où l’on espérait les prendre comme dans une souricière, ajoute une nouvelle déception à l’amertume allemande[4], et l’occupation d’Ostende fournit contre eux un nouveau grief, bien caractéristique de l’hypocrisie germanique. Entrés dans cette ville sans combat, les officiers de l’armée d’invasion se répandent dans les grands hôtels de la plage, pour y fêter en toute tranquillité la perspective d’une agréable et paisible villégiature. Le tir bien ajusté des frégates britanniques vient malheureusement interrompre leurs libations et les forcer à une retraite précipitée. Ils en témoignent une indignation presque comique par l’inconscience qu’elle révèle chez eux. Bombarder une ville ouverte, quel scandale ! Il faut être Anglais pour se permettre un pareil attentat aux règles les plus sacrées du droit des gens ! Personne ne semble se rappeler la violation de la neutralité belge[5].

En attendant le moment de pouvoir châtier les auteurs de ces crimes, il ne reste d’autre ressource que de les maudire, et personne ne s’en fait faute. « Aucun d’entre eux ne serait

  1. Hoecke, pp. 45 et 66.
  2. Kutscher, p. 27.
  3. Krack, p. 61.
  4. Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, I, p. 254,
  5. Gotlberg, pp. 107 et 108.