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à la « lande de Lunebourg » en Allemagne, la population, dont ils n’aperçoivent d’ailleurs que de rares échantillons, est représentée par eux comme petite, rabougrie, évidemment dégénérée par l’usage de l’absinthe. Par la négligence de leur tenue, les paysannes ne justifient guère la réputation d’élégance de la Française ; si dans les villes les jeunes filles sont mieux soignées de leur personne, c’est pour prendre « un cachet demi-mondain. » D’autres descriptions, aussi peu engageantes, sont destinées aux lecteurs instruits qui hésiteraient à confondre la Champagne pouilleuse avec la France tout entière. Bartsch, parcourant les régions minières du Nord, ne se contente pas de souligner l’aspect inesthétique que leur donnent le hérissement des cheminées d’usines et l’accumulation des tas de charbon sur leurs horizons. Logé dans les châteaux des riches industriels du pays, il critique avec la dernière sévérité les installations intérieures, le faux luxe à bon marché, le clinquant prétentieux des ameublemens, l’abus des plaqués et des simili-bronzes, en un mot tous les traits caractéristiques de la camelote allemande et du modern-style de Vienne ou de Munich[1]. Marschner, après une visite à Reims, apporte le tribut de son admiration à la beauté imposante de la cathédrale que bombarderont si allègrement ses compagnons d’armes ; mais il refuse au reste de la cité le caractère de « grande ville au sens allemand du mot, » parce qu’elle ne compte pas assez de maisons de plus de deux étages[2] ! Ce seul détail suffit à mesurer la valeur de ce reproche de « manque de goût » si fréquemment exprimé et si singulier dans la bouche des touristes casqués que l’invasion a amenés sur le sol de notre pays.

Quant à l’armée française, ceux-ci ne la connaissent guère au début que par la vigueur de la résistance qu’elle leur oppose. Partagés entre le désir de lui paraître supérieurs et la crainte de déprécier eux-mêmes leurs succès en la rabaissant trop ouvertement, ils l’attaquent par des moyens détournés, de petites vilenies, des calomnies anonymes. Ils répètent de confiance que les Français ne sont bons que dans la défensive, n’acceptent que le combat à couvert, redoutent particulièrement l’impétuosité des charges à la baïonnette allemandes ; ou encore qu’ils ne respectent pas la croix de Genève et qu’on a

  1. Bartsch, pp. 201 et 212.
  2. Marschner, pp. 47 et 212.