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recherchait sous quels traits ils nous ont représenté leurs adversaires après eux-mêmes. Ils ne parlent guère des Belges, considérés évidemment comme une quantité négligeable, et se contentent, au moins au début, d’appliquer aux Russes, qu’ils connaissent encore mal, l’épithète de « Barbares semi-asiatiques. » Les Anglais et les Français sont considérés par eux comme leurs plus redoutables ennemis, et d’ailleurs traités assez différemment dans leurs souvenirs.

Vis-à-vis de la France, leurs sentimens sont assez complexes. Ce sont d’une part le respect involontaire inspiré par la formidable épreuve que leur impose sa résistance ; puis, chez les officiers, un désir de la ménager, une certaine affectation à la juger plus digne de compassion que de haine, comme s’ils rêvaient toujours avec elle une réconciliation lointaine contre l’Angleterre. C’est, d’autre part, une sourde et invincible jalousie qui se traduit sous leur plume par de continuelles attaques à coups d’épingles, des remarques désobligeantes et des insinuations obliques. Ils appliquent ce système de dénigrement en détail au pays, à la population et à l’armée.

Il s’agit d’abord pour eux de ruiner la réputation légendaire de richesse et de bien-être que résumait dans l’esprit de leurs compatriotes le vieil adage : « Vivre comme Dieu en France. » Il leur suffit à cet effet de tracer des régions qu’ils traversent un tableau poussé au noir, et dont le lecteur généralisera instinctivement les traits principaux. Ils dénoncent à l’envi l’aspect misérable des villages champenois, où les fumiers sont plus nombreux que les jardins, le manque de goût qui y règne[1], l’absence de gaieté extérieure et de confortable intérieur dans les maisons, l’esprit de parcimonie dont témoigne leur construction, l’ignorance des derniers progrès agricoles que trahit l’état des campagnes, la saleté générale dont ils voudraient faire une spécialité latine, et toutes les insuffisances matérielles qui constituent à leurs yeux autant de signes d’une incontestable infériorité de culture[2]. Seuls, les lits français trouvent grâce devant eux et leur laissent même un souvenir reconnaissant[3]. Dans ce pays ingrat, comparable seulement

  1. Marschner, p. 27 ; Bartsch, p. 208 ; Ganghofer, pp. 62, 145, 215 ; Thümmler XVII, pp. 28 et 30, XIX, p. 11 ; Der deutsche Krieg in Feldpostbriefen, IV, p. 204.
  2. Ganghofer, p. 103.
  3. Hoecke, pp. 74, 85, 213 ; Wiese, p. 113 ; Marschner, p. 44.