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occupées, qu’ils y ont introduit l’ordre, la propreté et le progrès, et qu’en dernière analyse, leur présence a été un bienfait pour les habitans. Leur premier soin a été d’y effacer les traces des récens combats, d’y rétablir les ponts et les voies de communications, d’y nettoyer les routes et les villages, où leur sollicitude s’est étendue jusqu’aux tas de fumier, désormais taillés en carrés « à la mode prussienne » et correctement alignés. Si humble qu’il soit, ce travail tout matériel, accompli d’ailleurs pour les besoins de l’armée, cette besogne de balayeur suffisent à exciter leur enthousiasme : « Nous sommes un peuple de pionniers[1] ! » s’écrie à ce propos Ganghofer, sans paraître s’apercevoir que cette définition, entendue dans son sens limitatif, pourrait être adoptée par les ennemis de son pays.

D’après le même témoignage, l’activité allemande ne s’est pas bornée à réparer en territoire envahi les dommages de la guerre : elle a réussi également à améliorer et même à créer. Près de Charleville, la villa choisie par l’Empereur pour son quartier général est mieux entretenue qu’elle ne l’était par son légitime possesseur : il est fâcheux que ce dernier ne soit pas là pour apprécier son bonheur. A Saint-Quentin, la direction d’une ambulance établie dans une filature fait fonctionner une heure par jour les organes de transmission de la force motrice, de peur qu’ils ne se rouillent par l’inaction. La générosité de ce geste inspire à Ganghofer un sentiment d’attendrissement aussitôt tempéré par la crainte qu’elle ne soit ni connue ni appréciée du propriétaire lorsqu’il reviendra[2]. A Zeebrugge enfin, les officiers de marine allemands ont improvisé sur la plage un casino de fortune qui est, parait-il, un chef-d’œuvre de goût. Bartsch tremble à la pensée qu’après leur départ un acte d’ « inutile et sotte barbarie » pourrait détruire cette trace de leur passage et ce monument de leur culture[3].

En ce cas, l’ingratitude serait d’autant plus notre de la part des Belges qu’ils devraient aux envahisseurs autre chose encore que des modèles d’architecture : la révélation des belles manières. Si invraisemblable que paraisse le fait, Gottberg l’affirme sans paraître plaisanter ; en repassant à Bruxelles après un premier séjour, il croit y constater une réelle amélioration

  1. Ganghofer, p. 61 ; Der deutsche Krieg in Feldposlbriefen, IV, p. 230.
  2. Id., pp. 38 et 219.
  3. Barisch, p. 218.