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par la crainte de paraître « superficiel » (oberflächlich)[1]. Son souci constant d’intellectualisme se trahit par de fréquentes envolées métaphysiques ou panthéistes, d’autant plus surprenantes sous sa plume qu’elles voisinent, par un contraste incompréhensible pour un Français, avec des comparaisons d’une incroyable trivialité de termes[2]. Il fait enfin un visible effort de sens critique, cherche à s’élever au-dessus des préjuges populaires et se recommande, par ses prétentions comme par ses travers, à l’intérêt du lecteur curieux de connaître l’état d’esprit des dépositaires de la haute culture allemande.

On aimerait, après l’avoir lu, à recueillir le témoignage de réservistes appartenant à la petite bourgeoisie et à la classe moyenne. Faute de loisirs ou d’habitude de la rédaction, le nombre de ceux qui ont songé à écrire leurs souvenirs apparaît malheureusement comme restreint. On n’en consultera qu’avec plus d’intérêt l’un des rares spécimens que nous possédions de cette catégorie d’ouvrages. C’est le petit volume dans lequel le Saxon Marschner, sous-officier de réserve et commis voyageur dans la vie civile, raconte sa campagne avec la 23e division de réserve depuis la mobilisation, à travers la Belgique et jusqu’aux environs de Reims où le surprend l’hiver[3]. Moins riche que celui de Kutscher en observations psychologiques, son livre l’emporte peut-être par la vivacité spontanée des impressions, le mouvement du récit, la réalité pittoresque des détails, l’horreur tragique de certaines scènes, et surtout par un ton de sincérité assez rare dans les publications de ce genre.

Il eût semblé au premier abord logique de placer au premier plan de cette galerie de mémoires les œuvres des

  1. Kutscher, pp. 117, 124, 150, 156, 246.
  2. Le passage suivant, écrit sérieusement et traduit fidèlement, peut servir à montrer quelle singulière absence de goût paraît compatible en Allemagne. avec la plus haute culture scientifique. Il s’agit de la nécessité d’une victoire complète pour une paix durable : « Il en est de la paix, remarque à ce propos Kutscher, comme des latrines de campagne ; si l’on en creuse de petites, on doit recommencer le travail au moins une fois par semaine ; mais si elles ont la profondeur de la taille humaine, elles peuvent servir longtemps (p. 214). » Cette délicate question, plus importante peut-être pour le soldat qu’intéressante pou." le lecteur, semble préoccuper d’ailleurs Kutscher, car il lui consacre (p. 252) toute une dissertation technique.
  3. Mil der 23e Reserve-Division durch Belgien und Frankreich, Kriegserlebnisse, par Félix Marschner. Leipzig, 1915.