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déclarer que la mesure était impossible. Mais, sur les instances du prince, il finit par céder.

— Je ne veux pas vous refuser, Monseigneur, fit-il sèchement ; mais il ne faudrait pas recommencer.

Le lendemain, dans un cercle intime, il se vantait d’avoir donné cette leçon à son souverain, et il ajoutait railleusement :

— C’est un enfant capricieux.

La presse ministérielle aggravait ces faits en les soulignant par ses remontrances et ses avertissemens. Elle faisait remarquer que les conservateurs n’étaient qu’un état-major sans soldats dans le pays et que le droit de changer les ministres n’appartenait qu’à la Chambre : là, Stamboulof était le maître.

« Ferdinand, écrivait-on de Sofia, a besoin de Stamboulof dont la chute rendrait sa position plus précaire. Il est sans attaches et sans sympathies dans le pays. Son genre de vie efféminé, le cérémonial d’un autre âge dont il s’entoure tranchent avec la simplicité et les goûts essentiellement militaires qui distinguaient son prédécesseur le prince Alexandre et sont en opposition avec les mœurs encore rudes et démocratiques des Bulgares. »

Il régnait depuis deux ans lorsque était formulé ce jugement. En se soumettant à Stamboulof, il avait gagné du temps, tourné bien des difficultés, familiarisé les Puissances avec l’idée qu’il resterait en Bulgarie et qu’elles seraient obligées tôt ou tard de le reconnaître. Recourir à des prodiges de ruse pour vivre en harmonie avec le dictateur, était-ce payer trop cher les résultats qu’il pouvait considérer comme acquis au moment où s’achevait l’année 1889 ?

Une course en Autriche venait de lui assurer de sérieux avantages. La Bulgarie avait pu contracter un emprunt, le faire coter aux bourses de Vienne et de Pesth et faire accepter par les usines autrichiennes une commande de 60 000 fusils. Enfin, devant les Délégations, l’empereur François-Joseph avait parlé de la nation bulgare en termes si bienveillans que, malgré leur brièveté, on pouvait les interpréter comme une promesse. Aussi Ferdinand de Cobourg se montrait-il de plus en plus confiant. Lorsque dans son entourage intime quelques pessimistes agitaient devant lui le spectre des exigences que, d’après eux, les Puissances formuleraient bientôt pour l’obliger à déposer sa couronne, il levait les épaules et s’écriait :

— Allons donc ! je suis à moitié reconnu.