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Bulgarie avec l’adhésion de partisans assez nombreux pour créer un gouvernement, il faut le traiter comme un gouvernement de fait, en évitant toute démarche qui pourrait être interprétée comme une reconnaissance de sa légalité.

Quoique prévenu, au moment de quitter Vienne, des mesures d’ostracisme dont il va être l’objet de la part des Puissances, Ferdinand n’en poursuit pas moins sa route vers la Bulgarie où il est annoncé et attendu. Le 11 août, les régens qui se sont rendus à Roustchouk pour se porter par le Danube au-devant du souverain qu’ils doivent rencontrer à Lom-Palanka sont prévenus que son itinéraire est changé et que, de Widdin, où il a débarqué, il se dirige vers Sofia par Sistovo et Tirnovo, en évitant Roustchouk et Philippopoli où il devait d’abord s’arrêter. En débarquant, il lance un manifeste au peuple bulgare, sa première manifestation de prince régnant, laquelle est saluée à Sofia par un Te Deum chanté à la cathédrale. Le 16, il est à Tirnovo où il prend officiellement contact avec Stamboulof et où la grande Assemblée reçoit son serment. À cette séance solennelle, les agens étrangers, bien qu’invités pour la forme, ne se montrent pas. Mais personne ne songe à en prendre ombrage. Le ministre des Affaires étrangères leur a dit :

— Il nous suffit que vous ne vous éloigniez pas, et tout ce que nous vous demandons, c’est de nous ignorer.

Enfin, le 23 août, à sept heures du soir, le prince fait son entrée dans sa capitale. Il est dit dans un rapport diplomatique : « L’événement a excité plus de curiosité que d’enthousiasme. » Il est certain qu’en dépit des efforts de Stamboulof pour faire croire à Ferdinand qu’il était déjà populaire, l’accueil avait été plutôt réfrigérant. Les partisans de la Russie s’agitaient et pour l’instant faisaient cause commune avec ceux qui, restés fidèles au souvenir du prince Alexandre, avaient espéré son retour. Le même soir, un diner de gala réunissait autour du nouveau souverain les officiers de la garnison. On remarqua que le fameux major Panitza n’avait pas été invité. On crut d’abord que Ferdinand avait voulu manifester ainsi la répulsion que lui inspirait le passé de ce personnage méprisable et méprisé. Mais on sut bientôt qu’il l’avait mandé et « reçu avec cordialité. » Lorsque, à la fin de cette journée du 23 août, la première de son règne, le prince de Bulgarie se trouva seul, il pouvait se dire qu’il avait atteint son but.