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Modérer ses désirs et ses passions, c’est la première règle de la sagesse.

La leçon de la guerre apprendra, une fois de plus, aux violens que ce sont là les modalités essentielles de toute paix.

Ayant considéré dans la première étude le caractère matériel et moral de la guerre[1], je vais essayer de dégager dans celle-ci les conditions matérielles et morales de la paix.


L’examen des problèmes de la paix, ainsi envisagé à l’heure actuelle, ne présente aucun inconvénient ; au lieu de nous déconforter, il nous réconforte. En nous découvrant la grandeur des buts de la guerre, leur élévation et leur noblesse, il nous donne la force d’âme nécessaire pour supporter les plus lourds sacrifices jusqu’à ce que ces buts supérieurs soient atteints. Il s’agit d’une marche à l’étoile : seule cette idée peut faire accepter la longueur de la route et les épines du chemin. La foi est notre soutien. Au but coûte que coûte ! Nous savons que nous sommes au plus pénible de la pente la plus rude. Mais le clair sommet entrevu nous attire et nous aide. Là-haut, nous allons découvrir des horizons infinis, et nos enfans jouiront du repos dans la lumière.

Puisqu’il s’agit d’un idéal, nous pouvons le fixer sans baisser le regard ; son rayonnement nous anime, mais ne nous aveugle pas. Peut-être ne l’atteindrons-nous jamais. Cependant nous devons le considérer comme l’objet infiniment désirable d’une victoire que, d’ores et déjà, nous pouvons admettre comme certaine.

C’est seulement pour cette hypothèse, — l’hypothèse de la victoire, — que l’on peut tenter d’esquisser les premiers linéamens de l’Europe future. Le sort des armes et la volonté de Dieu en décideront. Les aspirations les plus nobles lui sont évidemment subordonnées ; elle est le but et le couronnement de nos efforts.

C’est en vue de cette victoire que nous écrivons ces lignes, sans présomption et sans illusion, car nous connaissons la difficulté des réalisations humaines. Mais nous avons bien le droit de dire que la victoire doit être absolue pour que la paix soit digne d’une telle guerre. Selon les paroles récentes du vieux Kouropatkine : « Il faut avoir conscience que les années que nous

  1. Revue des Deux Mondes du 15 juin 1916.