Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Indépendamment de son excellente armée, le Sultan tient les clés de la Mer-Noire par où la Russie est vulnérable. Unie à la Turquie et à l’Autriche, l’Angleterre pourrait lutter contre la Russie. Isolée comme elle l’est, il faut qu’elle se tienne tranquille. Quant à l’Autriche, elle a plus de points de contact et d’attaque contre la Russie, y compris l’élément polonais. Mais celui-ci n’est pas très sérieux. La Pologne s’est toujours agitée en temps de paix quand ses gentilshommes, ayant fait de bonnes affaires et reconstitué leur fortune, veulent se distraire ; jamais en pleine guerre, c’est-à-dire en temps opportun. Je craindrais beaucoup un choc entre les deux empires, non seulement à cause de l’amitié que nous avons de part et d’autre, mais aussi dans l’intérêt de l’Allemagne. Aujourd’hui, ces guerres ne se font plus entre cinquante mille ou soixante mille hommes prenant leur temps et leurs quartiers d’hiver. Les belligérans jouent leur va-tout ; la vie est complètement suspendue chez eux et jusque autour d’eux. Une guerre soit entre la Russie et l’Autriche, soit entre l’Angleterre et la France équivaudrait à une demi-guerre ou à un quart de guerre pour l’Allemagne, dont l’industrie et le commerce verraient se fermer pour un temps plus ou moins long leurs meilleurs débouchés. Tous mes efforts tendront donc au maintien de la paix, je ne dirai pas seulement par sentiment chrétien, — c’est là quelque chose d’élastique, — mais par intérêt. Mon vieux roi et son vieux serviteur veulent finir tranquillement leur existence. C’est à la politique pacifique que je me consacrerai, tant que je conserverai la confiance de l’Empereur.

Ce qu’il convient de retenir des confidences du chancelier à l’ambassadeur de la République française, c’est qu’au moment où la révolution bulgare mettait en péril la paix européenne, il était d’avis que les Puissances devaient, en affectant de s’en désintéresser, empêcher qu’elle ne s’aggravât d’une conflagration qui mettrait le monde en feu. Le maintien du statu que semblait être le moyen le plus efficace de la conjurer. Mais ce maintien que favorisaient à Sofia les agens étrangers impliquait dans une certaine mesure l’ingérence des Puissances dans les affaires bulgares. Or, c’est de cette ingérence que Stamboulof, en montant au pouvoir, voulait libérer son pays.

La politique que, dès la première heure de sa dictature, il entend suivre sans défaillance, il la formulera bien souvent