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S’élevant de « l’incident » au « permanent, » l’histoire reconnaîtra, sans doute, comme raisons profondes de la guerre : l’esprit d’invasion naturel à la race allemande, la folie orgueilleuse résultant des trop faciles victoires de 1866 et de 1870, l’ivresse d’un enrichissement prodigieux dû à un système industriel, commercial et financier qui ne pouvait pas durer. Elle dépouillera du prétendu mysticisme dont on a voulu la parer, une décision froidement prise et dont le caractère est foncièrement réaliste ; tout au plus, reconnaitra-t-elle quelque infime appoint idéaliste dans la thèse de ces « satanés professeurs » dont parlait Palmerston. L’histoire résumera l’ensemble de ces dispositions avérées dans une expression désormais classique : le militantisme prussien. Elle dira comment le militarisme était la modalité agressive du système pangermaniste exposé par Bülow dans son livre : la Politique allemande, et elle notera comme décisif l’aveu échappé à Jagow : « Au conseil de Potsdam, les militaires l’ont emporté sur les civils. »

Le « problème de la guerre » nous a paru se résoudre en ces termes : guerre injuste, guerre agressive, guerre préparée, délibérée et déclarée : elle accable, non seulement le gouvernement allemand, mais le peuple allemand sous le poids des plus lourdes responsabilités. Avec les conséquences si étrangement disproportionnées entre les desseins et les résultats, la guerre de 1914 est le type de la guerre détestable. Cataclysme inouï, crime effrayant de lèse-humanité, elle est la preuve éclatante de l’insociabilité persistante de l’Allemagne prussienne parmi les autres peuples européens.

En ce qui concerne la « volonté de la guerre, » la contre-épreuve résulte de l’examen des « buts de la guerre. » L’opinion allemande, la presse allemande, les chefs allemands ne cessent d’agiter cette question. Or, dans une si ardente polémique, les uns et les autres ne prennent en considération qu’un seul et unique point de vue : l’intérêt de l’Allemagne. Jamais, une seule fois, on n’a envisagé, jusqu’ici, entre Rhin et Niémen, le véritable problème : comment, après la guerre, réglera-t-on les affaires de l’Europe et les affaires du monde pour que l’humanité respire et soit plus heureuse ? Pas une seule fois, la considération des autres n’a forcé l’attention du brutal et aveugle égoïsme des Allemands. Preuve qu’ils ont fait la guerre uniquement pour satisfaire cet égoïsme, puisqu’ils entendent