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grandiloquent au seul contact des noms sacrés de Schiller ou de Gœthe, — M. Stilgebauer ne peut s’empêcher de reconnaître à quel point les actes récens de sa chère Allemagne ont différé de l’opinion qu’il se faisait d’elle. Vingt fois, notamment, il maudit les ambitions ou les convoitises, d’ordre tout « matériel, » qui ont » déchaîné » sur l’Europe le fléau de la guerre. Avec une indignation mêlée de douleur, il se rappelle les progrès de la pourriture morale de l’armée allemande, sous l’influence d’un besoin grossier de luxe et de richesse. « Il n’y avait pas pour nous de restaurans assez somptueux, — nous dit l’un de ces officiers qu’il prend volontiers pour ses porte-paroles, — pas de vins assez chers, pas de femmes assez chic ! Et en avant les automobiles, et les grosses dots ! Bref, une contagion qui se propageait partout, d’un régiment à l’autre. Et quoi d’étonnant à cela, alors que les barons de la finance et de l’industrie menaient le branle dans notre pays, et que Leurs Majestés Impériales n’avaient pas de plus grand plaisir que de s’attabler en public avec les boursiers de Hambourg ou de Francfort ? »

Une des quatre grandes parties du roman est consacrée à la peinture des ravages produits par la guerre en Belgique. M. Stilgebauer, comme on l’a vu, n’a pas réussi à s’affranchir suffisamment de la « docilité » de ses compatriotes pour découvrir tout ce qu’avait d’insensé la légende des « francs-tireurs, » — imaginée jadis afin de justifier les « atrocités » allemandes. Mais non seulement il estime que l’Allemagne n’avait pas le droit de répondre aussi cruellement à la révolte de ces « francs-tireurs, » — dont il se rappelle qu’on l’a instruit naguère à les vénérer comme autant de « héros, » lorsqu’on lui a raconté, au collège, le soulèvement d’Andréas Hofer et des paysans tyroliens contre l’autorité française de Napoléon : plus d’une fois, en outre, sa croyance générale aux provocations de « francs-tireurs » belges ou lorrains hésite et faiblit devant tels cas particuliers, comme celui de la destruction de la ville et de l’université de Louvain. Des aveux officiels, « faits dans un moment de honte, » l’inclinent à supposer que la glorieuse et misérable cité belge a été vraiment une martyre innocente, victime d’une impulsion diabolique qui tout d’un coup, une certaine nuit, a transformé des milliers d’hommes « ! civilisés » en un troupeau de « loups des steppes, » ivres de carnage et assoiffés de sang.

Et semblablement, M. Stilgebauer ne cesse pas de déplorer la déchéance « intellectuelle » de l’armée allemande d’à-présent. Sous l’effet même de son patriotisme, il constate tristement à quel point il