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On conçoit qu’un système aussi traître, aussi perfide, constitue, avec la mitrailleuse, arme de la surprise, une combinaison sournoise où devait se complaire l’esprit de ruse et de meurtre qui caractérise la mentalité germanique. Il est tout à fait curieux de noter qu’on retrouve l’origine d’un tel assemblage dans le vieil engin du XIVe siècle, le ribaudequin déjà cité. Dans cette machine rudimentaire, en effet, le cadre en bois qui servait d’affût à la rangée de petits canons était protégé à la partie avant par un fer de lance aigu et tranchant : c’était donc là déjà une arme à mitraille et défendue par une pointe de fer.


Tel est aujourd’hui l’emploi tactique des fils de fer ; mais les Allemands ne s’en sont pas contentés ; ils ont utilisé stratégiquement la puissance de l’obstacle, surtout sur le front russe où d’énormes espaces semés de piquets et de ronces artificielles leur ont permis des déplacemens de forces d’un point à l’autre de cet immense champ de bataille. Le développement des voies ferrées n’aurait pas suffi à leur faciliter ces mouvemens, s’ils n’avaient pu les exécuter sans aucun risque pour la portion du front dégarni de troupes : ici intervint le rôle stratégique des fils de fer dont voici un exemple. Dans la région de Varsovie, les armées russes et allemandes se sont fait face pendant des mois le long des petites rivières Bzara et Ravka, sur une ligne de soixante kilomètres dont la défense normale eût exigé de six à huit corps d’armée. Or, on a su depuis que la garde d’un tel espace avait été laissée à quelques milliers d’hommes, à intervalle de 8 à 10 kilomètres, munis d’une énorme quantité de mitrailleuses et protégés par d’immenses champs de réseaux barbelés, en maints endroits s’étendant sur une profondeur de six kilomètres et fixés à des piquets de six pieds de haut. On imagine aisément la résistance formidable d’une telle barrière.

Ainsi, en économisant des hommes sur certains points et en les remplaçant par du matériel, la couverture des mouvemens stratégiques par réseaux barbelés a permis aux Allemands, au cours de l’année 1915, d’obtenir en d’autres points, jugés par eux décisifs, la supériorité numérique, même sur les immenses armées russes.