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qui doivent obéir n’ont, pour éviter de se souiller de la pire des forfaitures, d’autre ressource que de se soustraire au commandement, ou même de s’en emparer, on ne discerne plus nettement ce qui est louable et ce qui est blâmable ; les notions se brouillent, les valeurs s’abolissent ou s’intervertissent. Alors, c’est l’état de dissolution, de décomposition, qui s’appelle dans le monde entier d’un nom grec : l’anarchie.

En Grèce, cet état d’anarchie ne se borne pas au militaire. Il y a, à Athènes, un gouvernement soi-disant constitutionnel, mais prenons-y garde : lui seul se croit un gouvernement, et il ne dit même plus qu’il est constitutionnel. Vainement le Roi a voulu par avance s’assurer dans l’histoire un rang distingué, et, par le numéro qu’il a revendiqué dans la série des Constantin, s’est inscrit à la suite des empereurs de Byzance, Personne ne peut oublier qu’il n’est que le deuxième roi de sa dynastie, et que cette dynastie n’est pas autochtone. Or il affecte un langage de monarque de droit divin, à la Louis le Grand ou à la Frédéric le Grand, sans songer que Louis XIV et Frédéric II, outre les raisons personnelles qu’ils avaient de se hausser à ce ton, quand ils parlaient de leur État comme se résumant en leur personne, s’autorisaient de ce fait que, pendant des siècles, leur État et leur maison avaient grandi ensemble et l’un par l’autre. Un roi ne représente, n’incarne, ne symbolise une nation que lorsqu’il est poussé, dans la lenteur du temps, des profondeurs de la nation : son arbre généalogique a besoin d’être porté et nourri par de longues racines. Mais le serment de fidélité que Constantin demandait ces jours-ci aux jeunes recrues helléniques n’eût pas été tourné d’une autre sorte, s’il eût été dicté à des Brandebourgeois ou à des Poméraniens par Guilaume II lui-même, « suprême seigneur de guerre. » Dans les circonstances présentes, ce n’est point pure fantaisie, accès subit de délire des grandeurs. Guillaume II disait aux siens : « Entre votre père et moi, c’est moi que vous devez choisir, et si je vous donne l’ordre de tirer sur votre père, cet ordre doit être exécuté. » De même, l’allocution de Constantin voudrait dire : « Entre moi et les autres, — ou l’Autre, — entre le prince et les prétendus représentans du peuple, c’est à moi que vous devez hommage et allégeance, car le peuple ne fait qu’un avec la personne du prince. » Et ce serait une thèse. Seulement, il n’est pas besoin, pour la démolir, de remonter au delà de 1860, et trois Puissances en sont témoins, les trois protectrices, les trois fondatrices du royaume de Grèce, les trois marraines, les trois garantes de la nouvelle famille royale : la France, la Grande-Bretagne et la Russie, parfaitement unies, aujourd’hui comme alors,