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très grosses, et qui sont allées se propageant, s’élargissant comme des ondes. Au plus près, d’abord, en Hongrie. Panique dans le peuple, tumulte dans le Parlement, désarroi dans le gouvernement. Dès que les têtes de colonnes roumaines sont apparues, les populations non roumaines de la Transylvanie ont reflué vers le centre du pays, semant sur leur passage l’épouvante. De toutes parts a éclaté le concert des récriminations qui s’élèvent dans les jours sombres, où les plus exaltés crient à la trahison et les plus modérés parlent de négligence ou d’incapacité. Quand le comte Etienne Tisza, confiant encore en sa toute-puissance, et naguère obéi en dictateur, plus servi que suivi par la majorité, a voulu repousser les accusations, mêlées d’injures, il a été hué. On s’est rageusement lancé à l’assaut contre lui : tous ensemble, tous les chefs et tous les partis, en présence du sien terrorisé, paralysé : les Andrassy, les Apponyi, les Karolyi, les Rakowsky, les « constitutionnels, » l’ancien et le nouveau parti nationaliste, comme les « cléricaux » du parti du peuple. On expliquerait insuffisamment cette colère en n’y voyant que le dépit de n’avoir pas été associés au gouvernement, et le désir de renverser le ministère pour le remplacer. Que le comte Jules Andrassy, dont l’âme, comme la figure, est âpre, et le comte Albert Apponyi, dont on a dit que « cavalier brillant, il renversait tous les obstacles, excepté le dernier, « brûlent de se substituer l’un au baron Burian, ministre commun des Affaires étrangères à Vienne, l’autre au comte Tisza, président du Conseil des ministres à Budapest, nous l’ignorons, mais c’est possible. Toutefois, outre que l’héritage exigerait un bénéfice d’inventaire, les petites ambitions, dans cette crise tragique, sont gonflées et ont besoin d’être nourries par de grandes passions. Ce ne sont pas seulement les partis qui se ruent contre le gouvernement hongrois, c’est le peuple magyar torturé par l’angoisse. Le fait est hautement significatif pour quiconque a été à même de se convaincre que, dans cet assemblage hétérogène qu’est la double monarchie, ce peuple est le seul qui ait le sens de l’État, la conscience plénière, et exagérée même de sa continuité millénaire ; que la Hongrie est vraiment l’épine dorsale, la colonne vertébrale de cette monarchie partout ailleurs flasque et invertébrée ; que c’est donc à Budapest que les reins des Habsbourg, les reins de la coalition, peuvent être cassés.

Et c’est précisément par quoi la guerre, portée d’instinct par les Roumains dans les comitats de Transylvanie, qui, en tant que guerre « roumaine, » eût pu paraître une guerre « de sentiment, destinée à