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grâces. Il prit les présens apportés de Malaca : une horloge à roues, un instrument de musique à clavier, une riche arquebuse, des flacons de cristal, des miroirs, des lunettes, une pièce de brocart. Il revêtit un bel accoutrement de soie. Et, au mois de mars 1551, il reparaissait à Yamaguchi avec ses lettres de créance, « dans l’équipage d’un grave et sage ambassadeur. »

Ce fut un coup de théâtre ; et François ne se doutait pas lui-même à quel point les Japonais y seraient sensibles. S’il était né d’une inspiration de son génie romanesque et dramatique, quelle connaissance intime du Japon il témoignerait chez l’apôtre ! La surprise de cette rentrée d’un mendiant en grand dignitaire donnait à sa parole plus de poids qu’une année de prêches et dix ans d’austérités. Yoshitaka fut ravi des présens. Les Japonais n’avaient jamais vu ni entendu d’horloge ; et les lunettes leur rendaient leurs yeux de vingt ans. Le prince désira contempler François dans ses habits sacerdotaux. « C’est un dieu vivant ! » s’écria-t-il ; et aussitôt il lui fit porter, en guise de remerciement, une somme considérable d’or et d’argent. Mais François la refusa. « Je ne viens pas en ambassade pour m’enrichir, dit-il, mais pour travailler au salut de Son Altesse et de ses sujets. » Ce désintéressement frappa encore plus le prince que l’horlogerie occidentale ; et il lui donna comme logement un monastère abandonné, devant les bureaux du palais, près de la porte du Nord, presque à la sortie de la ville, là où s’étendent aujourd’hui les casernes.

Du matin au soir, la maison ne désemplissait pas. Des nobles, des marchands, des bonzes et mêmes des bonzesses, des étudians l’interrogeaient sans pitié. Les questions des gens de Kagoshima n’étaient rien, comparées à ces assauts. Dans ce milieu remarquable à tant d’égards, il fut surpris par l’intelligence pénétrante de ses interlocuteurs et par la subtilité de leurs argumentations. Que de fois, à la tombée de la nuit, brisé de fatigue, il dut se rappeler les paroles de saint Paul au sujet d’Israël : « J’ai tendu mes mains tout le jour vers un peuple rebelle et contredisant ! » Il n’y avait pas à espérer encore de conversion en masse. Les âmes arrivaient une à une, lentement. Mais elles arrivaient. Et elles étaient excellentes. Et derrière chacune d’elles on en percevait d’autres. Ce succès incontestable a souvent étonné les historiens du Japon. Peut-être n’ont-ils pas étudié d’assez près les lettres de François.