Quelle force invincible reportait toute sa puissance de songerie au mois de septembre d’une des précédentes années, l’avant-dernière, lui semblait-il ? Elle revoyait, malgré elle, les vacances interrompues par les manœuvres d’automne en Touraine, la veille du départ de Jean, la dernière belle journée passée dans leur pavillon champêtre de la Gelle-Saint-Cloud, avec la vue sur le jardin en pente et la trouée dans les feuillages, dévoilant les coteaux vaporeux… Quels soupirs ! quels regrets ! quelles discussions avec les plus chers amis convoqués pour cet après-midi d’adieu ! Pourquoi Jean était-il officier de réserve ? À quoi rimait, tous les deux ans, cette période d’exercices d’un garçon qui n’avait de militaire ni la tradition, ni l’éducation, ni la foi ?
Le vieux père avait tenu à ce que Jean fût officier, lui qui, d’ailleurs, n’avait pas bougé de sa petite ville en 70, mais qui gardait de son temps des idées indéracinables. Quant à Jean, cela lui était indifférent. Il était dans les affaires, bien lancé pour gagner beaucoup d’argent, pour pouvoir offrir à sa jeune femme le luxe considéré, dans leur milieu, non comme un superflu mais comme l’indispensable : il ne concevait pas qu’un autre souci pût préoccuper sérieusement un esprit. Sans entrer dans les mille et une considérations de quelques-uns de ses amis, plus cultivés, qui raisonnaient, lui, il trouvait que l’uniforme de sous-lieutenant d’infanterie lui allait bien, et que, lorsqu’il l’endossait, c’était une occasion pour lui de se dégourdir les jambes ; les fatigues physiques un peu violentes, il reconnaissait qu’elles ne lui faisaient pas de mal ; il eût jugé volontiers les grandes manœuvres un jeu suranné ; il en souriait même ; il se plaisait à se remémorer les bévues commises par tel ou tel général ; mais qu’est-ce donc qui l’empêchait toujours de plaisanter la chose elle-même ? Être officier de réserve, c’était peut-être une des innombrables bizarreries de la vie sociale, mais c’était ce qu’on appelle une convenance ; dans un certain monde cela se faisait. D’ailleurs il laissait là-dessus dire et pérorer ses amis, esprits forts ; il ne leur opposait pas un argument ; il souriait ; et il demeurait sous-lieutenant de réserve, accomplissant, quand il était convoqué, sa période d’instruction.
Sa jeune femme l’avait accompagné, cette fois-là, jusqu’à Tours, pour être quelques heures de plus avec lui et pour avoir plus tôt ses dépêches les jours suivans. Que le temps lui parais-
